Souffrant de schizophrénie paranoïde, un homme a été condamné après avoir agressé, dans un train partant de Romont, une jeune femme et celui qui lui est venu en aide.

VALENTIN CASTELLA

JUSTICE. Romont, le mardi 4 août 2020, 10 h 20. Un homme de 27 ans, qui vivait clandestinement à la gare depuis trois jours, aperçoit une femme du même âge monter dans un train InterRégio en direction de Fribourg. Le ressortissant du Bénin la suit, tout en cachant dans sa veste un tesson de bouteille récolté dans une poubelle. «Sa beauté m’a attiré. J’ai été chercher la bouteille après l’avoir vue. Je savais que je lui ferai du mal.»

L’homme s’assoit ensuite à côté de la future victime et touche ses parties intimes. Elle lui crie d’arrêter et se lève brusquement. Elle prend place ailleurs et un passager s’approche pour lui demander si tout va bien. Elle lui raconte sa mésaventure et l’étudiant empoigne son téléphone pour qu’elle appelle la police. Elle a juste le temps d’avertir les forces de l’ordre avant de hurler de douleur. Entre-temps, l’assaillant s’était levé, avait fermé sa veste, s’était coiffé de son capuchon, avait enfilé ses lunettes de soleil et son masque, avant d’asséner avec son tesson de bouteille trois coups à la malheureuse. Elle se met alors en boule pour se protéger. Le jeune homme s’interpose en tirant l’agresseur vers lui. Blessée à une jambe, la voyageuse profite de la bagarre pour s’enfuir de l’autre côté du wagon.

Des escaliers en sang

Déjà condamné en 2017 en Allemagne pour une agression au couteau, le Béninois s’aper- çoit de sa fuite et se désintéresse de l’étudiant, blessé, pour revenir vers elle. Toujours avec son tesson de bouteille, il la frappe cette fois-ci dans le dos et à la jambe. Il essaie même de lui enfoncer son arme au milieu de la poitrine. Dix-neuf coups seront comptabilisés au total. Présents dans le train, des témoins décrivent une scène «d’une extrême violence». «Elle était couchée sur les escaliers du train en sang, lui au-dessus.» L’un d’eux a même aperçu un morceau de chair de 6 ou 7 centimètres gisant sur le sol. Ils ont tous pensé qu’il voulait la tuer. Un passager hurle à l’agresseur d’arrêter. Il répond: «Non, je n’arrêterai pas.» Finalement, la victime parvient à s’échapper et à monter à l’étage. Le condamné est maîtrisé, embarqué par la police à la gare de Chénens et emprisonné.

Jeudi, tous les protagonistes se sont retrouvés devant le président du Tribunal pénal de la Glâne. Accusé notamment de tentative de meurtre, de lésions corporelles graves et de désagréments causés par la confrontation à un acte d’ordre sexuel, l’agresseur était séparé des parties plaignantes d’un drap. Encore traumatisées, elles ne souhaitaient pas apercevoir le visage de celui qui avait transformé une journée ordinaire en cauchemar. Interrogé par le président Grégoire Bovet, le Béninois, qui purge une peine anticipée aux Etablissements de Bellechasse depuis juin 2021, bafouille et peine à comprendre les questions. L’homme est malade.

Selon une expertise psychiatrique, il est atteint de schizophrénie paranoïde. Un mal connu pour «envahir l’ensemble du fonctionnement psychique de l’individu qui en souffre et entraîne une altération majeure des fonctions cognitives et volitives».

Irrationnel

Son avocat Elias Moussa a d’ailleurs insisté sur ce point lors de sa plaidoirie, en racontant que son client avait commis un «acte de folie». Il a expliqué que, vingt-quatre heures après les faits, le condamné avait déclaré à la police qu’il voulait faire couler le sang, car des personnes de la communauté africaine lui avaient dit qu’elles allaient boire son sang. Et qu’il ne souhaitait pas que ce soit le sien. «Ces phrases interpellent, nous qui recherchons une explication rationnelle.» Selon l’avocat, la manifestation de cette maladie était très lourde lors de l’agression.

Celui qui a vécu plusieurs années clandestinement dans différents pays européens depuis son départ du Bénin et sa traversée de la Méditerranée a avoué: «J’ai beaucoup de problèmes dans ma tête. J’ai peur de moi-même.» Costaud, il s’est d’ailleurs effondré lorsque Grégoire Bovet lui a mis sous les yeux les images des blessures de la jeune femme. Dans l’enchaînement, il a demandé «pardon» en pleurant. «Je n’allais pas bien du tout. Je remercie Dieu que les victimes ne soient pas mortes.»

Sa maladie n’a jamais été contestée par les parties plaignantes et la procureure Catherine Christinaz. Cette dernière a toutefois souligné que les experts avaient signifié dans leur analyse une différence entre les coups et l’agression sexuelle. «Pour ce qui est des actes de violence sexuelle, il apparaît que le prévenu a agi sous l’influence d’hallucinations et d’automatismes de la pensée à laquelle il lui était impossible de résister.» Par contre, il n’était pas totalement accaparé par ses troubles en ce qui concerne ses actes de violence. «Il avait encore un lien avec la réalité», pointe du doigt le Ministère public. C’est pour cette raison qu’il a requis une peine de prison et une mesure thérapeutique, ainsi qu’une expulsion du territoire. «Il est dangereux et il doit être soigné.»

Les lésions retenues

Le Tribunal a prononcé une peine de cinq ans et une mesure thérapeutique en milieu fermé. Il ne l’a pas condamné pour tentative de meurtre. Le président a expliqué qu’il n’a pas pu établir si l’intéressé avait voulu tuer ou blesser gravement. Les lésions corporelles graves ont été retenues, tout comme l’interdiction du territoire pour une durée de quinze ans. S’il sort un jour. La mesure thérapeutique permet en effet aux experts de retenir durant plusieurs années le condamné s’ils le jugent encore dangereux pour la population. ■

Comme «un monstre»

Durant toute la durée du procès, la victime n’est pas parvenue à masquer sa rage, elle qui se sent «moins femme» à cause de toutes les blessures que son agresseur lui a infligées. En ne pouvant retenir ses larmes, elle a expliqué qu’elle avait l’impression de ressembler «à un monstre». Elle a poursuivi: «Du matin au soir, je vois les cicatrices sur l’entier de mon corps.» Aujourd’hui, elle n’a plus envie de voir du monde. «Je n’ai plus confiance en qui que ce soit.» Quant à la requête de son agresseur, qui lui a demandé pardon, elle a répondu: «Il n’existe pas de pardon pour ce qu’il m’a fait.»

Le jeune homme qui est venu en aide à la victime a également confié ressentir une anxiété quotidienne. Décrit comme un «héros ordinaire qui a eu le courage de ne pas s’enfuir face à l’agression d’une femme» par son avocat Alexis Overney, l’étudiant souffre aussi physiquement. Au genou notamment. «Plusieurs cicatrices sont également visibles.» VAC

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