Le monde agricole tire la sonnette d’alarme et demande une compensation des coûts de production de 6% à 10%.

Comme d’autres, l’Interprofession du Vacherin fribourgeois AOP a entamé les négociations.

Décryptage avec Frédéric Ménétrey, directeur de la Chambre fribourgeoise d’agriculture.

CHRISTOPHE DUTOIT

AGRICULTURE. Des mauvaises récoltes en 2021, la pandémie de Covid et maintenant la guerre en Ukraine: les agriculteurs suisses souffrent d’une forte augmentation des prix de l’énergie et des engrais. Ces jours-ci, ils montent au créneau pour demander des compensations de 6% à 10% leurs coûts de production (lire ci-dessous).

Dans le Sud fribourgeois, les regards se tournent évidemment du côté des filières fromagères. Si l’Interprofession du Gruyère AOP avoue «être en discussion» par la voix de son directeur Philippe Bardet, celle du Vacherin fribourgeois AOP est plus diserte. «Les négociations sont en cours sous la conduite du comité directeur, explique Romain Castella. Une réunion a eu lieu la semaine dernière et des propositions sont sur la table. Pour le moment, nous n’avons pas encore établi ni de quel ordre seront les compensations, ni à quel moment elles interviendront», explique son directeur.

La filière fromagère connaît «une explosion des coûts» à chaque étape de sa production. «On doit faire quelque chose, c’est évident. On ne peut pas perdre de l’argent à chaque kilo, avoue Romain Castella. Cette situation est difficile pour tout le monde et d’autres fromages de marque en Suisse – Appenzeller ou Tilsit par exemple – ont déjà annoncé des hausses. Le Vacherin fribourgeois n’y échappera pas.»

Le porte-monnaie décide

Après une excellente année 2021, particulièrement à l’exportation, le Vacherin fribourgeois ne souhaite pas baisser ses quotas de production. «Il semblerait que le marché soit suffisamment stable pour nous, mais ce n’est pas une certitude. Pour beaucoup, c’est le porte-monnaie qui décide. Par chance, les consommateurs privilégient un produit comme le nôtre par rapport à des fromages étrangers ou de moindre qualité.» Sans oublier que le Vacherin fribourgeois est peu utilisé dans l’industrie de l’ultratransformation.

Aux yeux de Romain Castella, une décision devrait tomber dans le mois à venir. «Les producteurs, les fromagers et les affineurs doivent se mettre d’accord. Tout le monde est touché par l’augmentation des prix de l’énergie, mais aussi du transport, de l’emballage, de la certification…» Avec une condition: «On ne vise pas à augmenter les marges, mais seulement à compenser les coûts de production. Avec le vœu que nos prix restent abordables pour le consommateur.»

Sans compter la répercussion sur la marge de la grande distribution, la majoration pourrait aller de 5% à 10%, soit grosso modo entre 1 fr. et 2 fr. par kilo de fromage. «Pour un consommateur lambda de Vacherin fribourgeois, cela représente quelques francs par année, explique Romain Castella. Surtout, il ne faut pas oublier que cet argent est investi ici, dans l’économie locale.» ■

Nouvelle vague d’incertitudes

Chez Migros, comme auprès d’autres acteurs de la grande distribution, les consommateurs ont déjà vu les prix augmenter. «Nous sommes confrontés à la hausse des prix de l’énergie et des matières premières depuis l’automne dernier, en raison des conséquences de la crise du Covid et des mauvaises récoltes 2021», explique son porteparole Tristan Cerf, qui relaie des propos tenus par le CEO Fabrice Zumbrunnen le 29 mars dernier. En raison de la situation imposée par la guerre en Europe, une nouvelle vague d’incertitudes se présente et beaucoup de questions restent en suspens. «Malheureusement, nous devons en effet nous attendre à une hausse des coûts à l’avenir. Mais il est aujourd’hui difficile de dire quelle sera son envergure.»

Migros explique que les prix qu’elle pratique sur les produits agricoles suisses «sont le fruit de négociations consensuelles entre les parties ou dépendent de valeurs indicatives fixées par les organisations de branche, poursuit Tristant Cerf. Comme dans le cas du domaine maraîcher, où les prix du marché varient de semaine en semaine et sont soumis à de nombreux critères.» CD

Des conséquences très locales

DÉCRYPTAGE. La semaine passée, l’Union des paysans fribourgeois (UPF) revendiquait une «augmentation urgente des prix des produits agricoles d’au moins 6% à 10%». Plusieurs raisons expliquent ce phénomène: la hausse subite des prix de l’énergie, mais aussi celle des engrais, dont le prix a triplé en quelques mois. «Les conséquences sont diverses en fonction des marchés, analyse Frédéric Ménétrey, directeur de la Chambre fribourgeoise d’agriculture, qui assure le secrétariat de l’UPF. Par exemple, 60% du marché mondial du tournesol, en particulier pour la production d’huile, provient de Russie et d’Ukraine.

Evidemment, la situation actuelle laisse planer des craintes sur la disponibilité des produits. Pour le blé, la Russie et l’Ukraine forment le deuxième producteur mondial derrière la Chine, qui n’est en principe pas exportateur. Ces déséquilibres sur le marché mondial ont des conséquences très locales.»

Chez nous, les coûts de l’énergie ont des incidences non seulement sur la production laitière, mais aussi sur celles de la viande, des grandes cultures et des légumes. «Ce n’est pas aux agriculteurs de supporter ces hausses. Leurs marges sont déjà faibles: ces augmentations risquent de mettre en danger certaines exploitations», plaide Frédéric Ménétrey, qui note que certaines majorations ne sont pas directement liées à la guerre en Ukraine, mais qu’elles sont déjà apparues l’année dernière, durant la pandémie.

Incidences à relativiser

Ces hausses en cascade risquent de provoquer un phénomène d’inflation. «Malheureusement, cela va peser sur le consommateur, comme on le constate déjà avec le prix de l’essence. Mais il faut relativiser l’incidence de ces hausses liées à l’agriculture. Si on augmente de 10% le prix du blé, on n’augmente que de 5 centimes celui du pain. Ce n’est pas une revendication idéologique, c’est vraiment lié à une réalité économique.»

Les producteurs de lait d’industrie ont déjà bénéficié d’une augmentation de 3 centimes pour cette année. Au niveau des céréales, le prix cible est en discussion avec la Confédération et le calcul va tenir compte de divers facteurs. «Pour les céréales, cela dépendra aussi des récoltes. Si elles sont mauvaises comme l’année passée, cela aura évidemment des incidences sur les prix. Cela mettra aussi la pression sur les céréales fourragères, qui sont déjà passées de 20 € à 40 € en quelques mois. C’est une conséquence directe pour le bétail.»

Au contraire, si elles sont bonnes, cela va calmer le marché. «Si la guerre continue encore durant six mois, cela peut devenir un véritable problème de société, annonce Frédéric Ménétrey. Par exemple pour des pays comme l’Egypte, qui importe plus de la moitié de son blé d’Ukraine et de Russie.» Et là, ce n’est plus une question d’augmentation des coûts, mais bien de sécurité alimentaire. CD

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