La romancière Monica Sabolo s’est penchée sur Action directe, qui a multiplié les attentats en France dans les années 1980. Sans se douter qu’elle trouverait dans «le secret, le silence et l’écho de la violence» une résonance avec sa propre histoire.

ÉRIC BULLIARD

La narratrice souhaite «écrire quelque chose de facile et d’efficace, qui aurait des chances de se vendre». En écoutant Affaires sensibles sur France Inter, une idée surgit: l’émission revient sur l’assassinat de Georges Besse par Action directe, à Paris en 1986. «Un groupe de jeunes gens assassinent un père de famille pour des raisons idéologiques», résume Monica Sabolo.

Elle tient son sujet, qui se trouve au cœur de La vie clandestine, et qui va l’emmener bien plus loin qu’elle ne l’imaginait. «Rien n’était plus éloigné de moi que cette histoire-là», pense-t-elle. «Je ne savais pas encore que les années Action directe étaient faites de ce qui me constitue: le secret, le silence et l’écho de la violence.»

Ce livre, estampillé «roman», naît ainsi de ce double mouvement. D’un côté, une enquête détaillée sur les activités d’Action directe: la narratrice fouille les archives, rencontre les survivants, s’interroge sur ces jeunes gens qui basculent dans le terrorisme. De l’autre, son propre passé, son enfance dans un milieu bourgeois, qui passe par Milan et Genève dans les années 1970. Et sa relation avec son père adoptif, qu’elle nomme Yves S., spécialiste de l’art précolombien et affairiste mystérieux. «Un porteur de valises», lui explique-t-on un jour.

Zones d’ombre

D’une part, le terrorisme d’extrême gauche, de l’autre un père aux facettes obscures. Et abuseur. «J’ai vingt-sept ans quand je déclare à Yves S.: “Je me souviens de ce que tu m’as fait quand j’étais petite.”» Il ose alors cette réponse: «Je pensais te demander pardon, un jour, là-haut, quand nous serions morts.» Non sans avoir précisé qu’un psy lui a expliqué que «ce genre de chose arrive tout le temps, dans les familles»…

Avec sa finesse d’écriture (que l’on a déjà pu savourer dans Crans-Montana, Summer ou Eden), Monica Sabolo s’interroge sur les motivations des jeunes activistes comme sur les zones d’ombre de son histoire familiale. Il y a des secrets derrière les apparences, des activités occultes, des besoins de fuir. Et des victimes qui doivent vivre avec le traumatisme.

Plus que l’aspect idéologique, c’est le côté humain qu’elle explore. Derrière les attentats, les mitraillages, les braquages, les assassinats, derrière l’entrelacs complexe de ces groupes extrémistes, il y a des femmes et des hommes. «Je ne sais toujours pas qui ils sont, tous, mais je dois faire face à une idée troublante: entre eux et moi, un lien se tisse. Ils ne me sont pas aussi étrangers que je le voudrais.»

«Un enlacement curieux»

Elle s’attache en particulier à Hellyette Bess, libraire anarchiste nonagénaire et «gardienne du temple» d’Action directe. «J’aime Hellyette, qui les aime, ou les a tant aimés», écritelle en remarquant: «Nos vies sont des fils qui se rencontrent, s’embrouillent et se resserrent, un enlacement curieux, mais indéniable, elles forment un nœud que je ne peux plus défaire.»

La vie clandestine en vient ainsi à dépasser les souvenirs d’Action directe et l’expérience intime: son livre, fascinant dans sa manière de se construire au fil de l’enquête, en vient à s’interroger sur la complexité de l’être humain. Sur la fragilité des souvenirs et l’impossibilité de connaître vraiment les gens, proches ou non. «Nous ne sommes jamais là où se trouve la vérité, du moins pas tout à fait». ■

Monica Sabolo, La vie clandestine, Gallimard, 320 pages

Dix ans d’Action directe en France, 80 attentats

Pour Action directe et son histoire, «tout est secret, obscur, multiple», note Monica Sabolo au début de Lavieclandestine. Née dans le sillage ultraviolent de la RAF allemande et des Brigades rouges italiennes, «l’organisation a sévi en France entre 1979 et 1987 et revendiqué plus de quatre-vingts attentats». Son premier coup d’éclat: la fusillade de la façade du Conseil national du patronat français, en 1979.

Jean-Marc Rouillan et Nathalie Ménigon, deux piliers de ce groupe mouvant d’extrême gauche, sont arrêtés en septembre 1980. Mais, après l’élection de François Mitterrand en 1981, ils bénéficient de l’amnistie présidentielle et sont libérés. «Retour à la case départ et reprise des attentats», écrit Monica Sabolo. Deux policiers sont tués en 1983. En janvier 1985, René Audran, directeur des affaires internationales au ministère de la Défense, est assassiné. Georges Besse, patron de Renault, est abattu devant chez lui en novembre 1986.

En janvier 1987, Jean-Marc Rouillan, Nathalie Ménigon, Joëlle Aubron et Georges Cipriani sont arrêtés dans une ferme isolée du Loiret. Tous les quatre seront condamnés en 1989 à la prison à perpétuité.

Joëlle Aubron décède en 2006 d’une tumeur au cerveau. Nathalie Ménigon bénéficie d’une liberté conditionnelle en 2008. Diminuée par deux AVC, elle vit dans une ferme du Sud-Ouest. Georges Cipriani aussi est en liberté conditionnelle, depuis 2011. Quant à Jean-Marc Rouillan, leader d’Action directe, il a eu droit à un régime de semi-liberté à partir de 2007, révoqué en 2008 à la suite d’une interview dans L’Express. Une nouvelle mesure de semi-liberté lui est accordée en 2011.

En 2016, à la suite des attentats de Paris, Jean-Marc Rouillan affirme avoir trouvé les terroristes «très courageux, ils se sont battus courageusement». Cette déclaration lui vaut dix-huit mois de prison, dont huit ferme. En juin dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour cette peine, jugée trop lourde. Auteur d’une vingtaine de livres, Jean-Marc Rouillan a notamment raconté son combat dans Dix ans d’Action directe, un témoignage,1977-1987. EB

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