Dix ans après la diffusion télévisée des Documents interdits, Daniel Myrick et Eduardo Sanchez connaissaient un succès mondial au cinéma avec Le projet Blair Witch. En 1999, ce film d’horreur à petit budget allait populariser l’expression found footage, soit «enregistrement (ou images) trouvé(es)».

Les fans des Documents interdits crient au plagiat. Le réalisateur Jean-Teddy Filippe, lui, reste serein. Il ne se considère pas comme dépositaire du genre, explique-t-il, et d’autres ont forcément eu la même idée. Mais il ajoute avec malice que ses faux documentaires avaient été diffusés aux Etats-Unis. De là à dire que les réalisateurs de Blair Witch les connaissaient…

Un an avant le triomphe de Myrick-Sanchez, The last broadcast utilisait le même procédé, sans rencontrer le même succès. Depuis, le concept de faux film amateur faussement trouvé par un faux hasard a fait florès, en particulier dans le genre horrifique. REC (2007), Diary of the dead (2007), Cloverfield (2008), Paranormal activity (2009), The Troll Hunter (2010), Chronicle (2012) usent de ce concept. Dans un autre genre, C’est arrivé près de chez vous, sorti trois ans après la diffusion des Documents interdits, se fonde aussi sur le found footage.

Des cannibales et un bigfoot

Indiscutable pionnier, Jean-Teddy Filippe n’est toutefois pas l’inventeur du principe. Avant lui, un réalisateur italien bien tordu avait tourné un faux documentaire: en 1981, Ruggero Deodato a fait croire à la disparition d’une équipe de journalistes, dévorés par une tribu amazonienne. Son Cannibal Holocaust semble si réaliste qu’il a été convoqué devant un tribunal et que les comédiens ont dû témoigner qu’ils étaient bien vivants… Le réalisateur sera toutefois condamné pour cruauté envers les animaux, réellement tués sur le tournage.

Dans un article de la revue académique en ligne International Journal of Žižek Studies*, le professeur américain Hugh S. Manon rappelle de son côté l’importance du très court film de Roger Patterson et Robert Gimlin. En 1967, la télévision américaine diffuse pour la première fois les images de ces deux amateurs, qui affirment avoir filmé un bigfoot, sorte de yéti américain. Au passage, ils rendent iconique le primate mythique, en particulier par la célèbre image 352 (voir photo). Le film dure moins d’une minute et la créature demeure éloignée et floue. Mais c’est justement cette incertitude qui peut faire passer ces images pour vraies.

«Esthétique lo-fi»

Elles le sont, d’ailleurs, selon Hugh S. Manon: le film lui-même est vrai (les deux réalisateurs ne cesseront de le clamer), c’est la créature qui est fausse. A l’instar de la plupart des scientifiques, l’universitaire assure en effet qu’il s’agit d’un homme grossièrement déguisé en gorille.

N’empêche que ces images ont marqué les consciences, par leur mystère comme par leur esthétique. En cette fin des années 1960 où le cinéma pense avoir atteint un apogée technologique (formats larges, couleurs et sons de haute qualité…), le film de Patterson-Gimlin prend le contrepied: couleurs et cadrages approximatifs, caméra tremblante… Cette «esthétique lo-fi» va connaître un tel succès dans le cinéma des décennies suivantes que, selon Hugh S. Manon, cette petite minute tremblotante forme «en termes d’influence (…) le film américain le plus important de la seconde moitié du XXe siècle.» EB

*Disponible en anglais sur https://zizekstudies.org

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