La compagnie fribourgeoise Boréale monte Cette fille-là, de Joan MacLeod. Inspirée d’une histoire vraie, la pièce aborde le sujet du harcèlement scolaire.

ÉRIC BULLIARD

NUITHONIE. Ce n’est pas parce qu’il s’adresse à un jeune public qu’il évite les sujets graves. Après les enfants différents de Gil (2020), Michel Lavoie et sa compagnie Boréale montent Cette fille-là. Le spectacle, à découvrir dès vendredi à Nuithonie, aborde avec force le thème du harcèlement scolaire.

Michel Lavoie avait vu cette pièce de Joan MacLeod – inspirée d’un drame réel – à Montréal, il y a une vingtaine d’années. Mais il ne pensait pas la mettre en scène, avant de se trouver confronté à un problème de ce type: une de ses élèves aux Mini-beaux arts s’est soudain renfermée sur elle-même. Harcelée, la jeune fille vivait dans la peur. «J’ai fouillé un peu pour voir ce qui existait sur le sujet.» Michel Lavoie insiste: il n’est pas enseignant, ni psychologue, mais artiste. C’est par le théâtre qu’il entend aborder ce genre de sujet. «Au début, je me suis posé la question d’écrire à partir d’histoires récoltées auprès des jeunes.» Avant de se tourner vers Cette fille-là.

Autour de la pièce, la compagnie Boréale a monté un concept de médiation, qui comprenait un projet dans une classe du CO de Pérolles. Le résultat est exposé à Nuithonie. La réflexion sur le harcèlement a donné lieu à des panneaux écrits et dessinés, ainsi qu’à un court métrage, entièrement imaginé, joué et mis en musique par les élèves.

Retour au spectacle. Joan MacLeod s’est inspirée du meurtre de Reena Virk, 14 ans. En novembre 1997, cette adolescente est battue et noyée par sept filles et un garçon. Dans la pièce, Braidie découvre l’histoire par les médias.

Choquée par ce meurtre, l’adolescente s’interroge sur son propre comportement. Le spectateur découvre peu à peu que le harcèlement existe dans son école et que la jeune fille est au moins coupable de l’observer, sans réussir à l’empêcher. Les choses ne vont pas forcément aussi loin que dans l’affaire Reena Virk, mais Braidie a cette phrase terrible, comme une prise de conscience: elle «connaît le chemin», qui peut conduire à ce type de drame.

Bourreau ou victime?

«C’est une pièce exigeante, qui débute comme un roman, où tout n’est pas donné immédiatement», raconte Michel Lavoie, en soulignant son admiration pour l’écriture de Joan MacLeod. «A la fin, on comprend tout ce qui s’est passé pour Braidie.»

Le travail de la langue passe par une manière de garder des tons adolescents. Braidie s’adresse à son grand frère, Trevor, qui a quitté leur île pour ses études. Elle lui raconte ses conflits avec leur mère, sa décision de ne plus aller à l’école. Sans tomber dans la caricature, son monologue est émaillé d’expressions du type «là, je sais c’est quoi», «je réalise c’est qui, ces filles-là»…

Pour incarner Braidie, Michel Lavoie a fait appel à la comédienne Joséphine de Weck. Parce qu’elle a cette énergie juvénile, cette dualité entre froideur et fragilité qui peut la rendre ambiguë: est-elle harceleuse ou harcelée? Bourreau ou victime? Ou les deux? A ses côtés sur scène, Gael Kyriakidis (Pony del Sol) joue et chante ses propres compositions, tour à tour mélancoliques et rageuses. L’énergie et la complexité de l’adolescence, là encore.

«C’est pour eux»

«Quand je les ai vues ensemble, j’ai trouvé qu’elles avaient quelque chose en commun, physiquement», ajoute le metteur en scène. D’où l’idée de les vêtir de la même manière et de faire de la musicienne une sorte de double de la comédienne. Un écho, voire un surmoi.

Outre les six représentations publiques, Cette fille-là propose plus de 15 scolaires pour des classes de CO, dont quatre à Riaz. Pour Michel Lavoie, toucher ce public demeure plus important que jamais: le théâtre jeune public et adulte est florissant, mais entre les deux? «On les emmène voir des pièces qui ne sont pas pour des ados. Moi, j’ai envie de leur parler: Gil, c’était pour eux, Cette fille-là, c’est pour eux…» ■

Villars-sur-Glâne, Nuithonie, du 18 au 27 mars, www.equilibre-nuithonie.ch

Avec une intensité croissante

C’est une adolescente comme les autres, avec ses sautes d’humeur et ses rébellions. Avec son manque d’empathie et ce besoin d’appartenir à un groupe. La pièce de Joan MacLeod possède cette force: chacun(e) peut se reconnaître en Braidie. Et quand la turpitude de ses agissements se révèle, on les reçoit en pleine face, poussés à une introspection qu’accentue encore l’utilisation de miroirs. Cette scénographie de Maria Eugenia Poblete Beas a aussi pour effet de montrer Braidie sous différents angles. De la multiplier, à l’image de sa personnalité adolescente fragmentée.

La réussite de Cettefille-làtient aussi dans la complicité entre la comédienne Joséphine de Weck et la musicienne et chanteuse Gael Kyriakidis. Toutes deux ont cette énergie juvénile qui n’empêche pas les coups de blues. Portée par un texte au scalpel et par la fine mise en scène de Michel Lavoie, qui évite toujours de trop appuyer le propos, la pièce devient de plus en plus intense, jusqu’à laisser sans voix, face à cette question sous-jacente: comment des enfants sans histoire peuvent-ils se transformer en monstres? EB

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