Le Théâtre des Osses, à Givisiez, ouvre sa saison avec une création maison. Dans Occident, Rémi De Vos ajoute à l’histoire d’un couple qui se déchire celle de la montée des extrémismes. Avec son humour décapant habituel.

ÉRIC BULLIARD

GIVISIEZ. A la lecture, le texte se révèle «effrayant», selon Nicolas Rossier. Pour ne pas tomber dans l’insoutenable, sa mise en scène et son interprétation d’Occident – qu’il joue avec Anne-Catherine Savoy dès ce soir au Théâtre des Osses – appuient sur l’humour de Rémi De Vos. Au vitriol certes, mais humour quand même. «Si les gens ne rient pas, c’est raté!»

C’est la troisième fois que le codirecteur des Osses aborde une pièce de ce dramaturge français. Avec Geneviève Pasquier et leur compagnie Pasquier-Rossier, ils avaient monté un virtuose Ravissement d’Adèle, avant Sa chienne, joué au Midi Théâtre, puis au Centre dramatique fribourgeois en 2020.

Autant d’occasions de savourer «l’efficacité redoutable» de ce théâtre qui «va vite et sonne immédiatement juste». Codirectrice du Théâtre des Osses, Geneviève Pasquier (qui signe ici la scénographie), abonde: «Le théâtre de Rémi De Vos est vraiment une partition rythmée. Pour les comédiens, il y a un plaisir de la virtuosité.»

Occident met en scène un couple en crise. Chaque soir, il rentre du bistrot, elle l’attend. Chaque soir, ils se déchirent. Du bar, il ramène aussi des clichés racistes, une haine croissante: à la décomposition d’un amour s’ajoute celle des valeurs d’une société en crise. «Le fond est très dur et me fait penser à Ibsen ou Strindberg: c’est une Danse de mort actuelle», estime Nicolas Rossier. Il fallait donc en sortir le côté drôle.»

Le texte date de 2005 et parle, au-delà du couple, de la montée des populismes. «Aujourd’hui, si l’on regarde ce qui se passe en Italie ou en Suède, c’est pire. Le message d’alerte n’a pas été entendu.» A l’époque, sous la plume de Rémi De Vos, les étrangers étaient des Yougoslaves. «Aujourd’hui, le mot n’a plus le même sens, mais il désigne tous ceux qui ne sont pas d’ici.»

Face à cette montée des extrémismes comme face aux crises de couple, «il y a toujours une possibilité de réagir, poursuit Nicolas Rossier. Mais il faut se poser les bonnes questions, agir avec son cerveau, pas avec son affect et ses tripes. C’est ce que Rémi de Vos dénonce dans la pièce: la femme reproche à son mari de ne plus “bander de la tête”…»

La peur de l’autre

De plus, «chaque scène commence par un moment de stupeur». Les personnages ont peur et on la sait mauvaise conseillère. «Elle empêche de réfléchir. Il y a la peur de l’autre, de l’ouverture, du partage, mais aussi celle qui intervient dans des moments de la vie intime.»

Pour partenaire de jeu, le comédien et metteur en scène a tout de suite pensé à Anne-Catherine Savoy. «Une actrice immédiatement efficace, à l’aise dans cette écriture.» Tous deux partagent en outre un passé commun et restent proches. «Pour bien jouer un couple qui se déchire, il faut bien se connaître!»

Pour la première fois, Nicolas Rossier a donc choisi de se mettre en scène. «Sans vouloir paraître présomptueux, je me suis dit que je savais comment jouer ça. Amener un acteur là où je veux aurait pris du temps. C’était une façon d’aller au plus simple.» Même si cela impliquait un travail supplémentaire, avec nombre de visionnages à la vidéo, par exemple.

Un lieu de réflexion

De son côté, Geneviève Pasquier a conçu sa scénographie à partir de ce constat: «Ils sont toujours au même endroit, chez eux. Elle ne sort pas, il rentre du bistrot.» Elle n’a pas voulu un décor réaliste, mais a imaginé un claustra, soit une paroi de séparation ajourée, qui peut prendre des allures de cage.

Après des saisons marquées par la pandémie et un jonglage entre les spectacles en reprise, les codirecteurs du Théâtre des Osses ne cachent pas leur plaisir de créer à nouveau. De retrouver le sens de leur engagement artistique. Occident, avec son regard acéré sur notre société, semble de ce point de vue idéal. «Faire du théâtre, aujourd’hui, est déjà un acte politique, insiste Nicolas Rossier. Les lieux de réflexion où l’on peut s’interroger en commun sur une cause sont rares. Le théâtre doit servir à ça et pas à ne parler que de soi.» ■

Givisiez, Théâtre des Osses, jusqu’au 16 octobre. Réservations: 026 469 70 00, www.theatreosses.ch

De Vos, des mots de comédien

Selon Nicolas Rossier, Rémi De Vos a une qualité que les acteurs sentent immédiatement: il a lui-même été comédien. Ses mots roulent en bouche et claquent aux oreilles, ses scènes ont des allures de mécanique théâtrale qui se monte avec jubilation. Né à Dunkerque en 1963, Rémi De Vos a multiplié les petits boulots en parallèle à une carrière sur les planches qui ne décollait pas. Il écrit sa première pièce après ses trente ans: Débrayagese déroule dans le monde du travail qu’il connaît bien et contient un regard sur la société qui deviendra une de ses marques. Son écriture acide, percutante, fait merveille pour s’attaquer au politiquement correct et pousser à la réflexion.

«C’est un auteur très diversifié, qui ne se contente pas d’une recette une fois pour toutes, souligne Geneviève Pasquier. Il y a différents degrés dans le réalisme, le grotesque…» Rémi De Vos n’a écrit que pour le théâtre: «Je crois franchement que je serais incapable d’écrire autre chose», expliquait-il dans une interview au journal LaTerrasse.

Auteur de plus de vingt pièces, traduit dans une quinzaine de langues, Rémi De Vos est l’un des dramaturges français contemporains les plus joués. Le comédien et metteur en scène Joan Mompart, qui avait monté Jepréféreraismieuxpas(présenté à CO2 en 2020) affirmait dans nos colonnes: «C’est un des plus grands auteurs de comédie aujourd’hui en francophonie. Rémi De Vos commence à rejoindre un Audiard ou un Blier en termes de dialogues succulents.» A noter que l’auteur sera présent au Théâtre des Osses pour un bord de scène le 8 octobre. EB

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Rémi De Vos et son rire acide pour ausculter notre société

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