Suite de notre série culturelle de l’été consacrée aux faux et aux faussaires. Où l’on se souvient que même de prestigieuses institutions, comme le British Museum et le Metropolitan de New York, ont été trompées, en particulier par des antiquités étrusques.

ÉRIC BULLIARD

Pour le British Museum, c’était un manque. Le Louvre avait son Sarcophage des époux, exemple exceptionnel de sculpture étrusque. Rome aussi, au musée de Villa Giulia. Tous deux proviennent de la nécropole de Banditaccia, à Cerveteri, dans le Latium, un des plus importants sites étrusques. En cette seconde partie du XIXe siècle, le monde ne cesse de s’émerveiller à la découverte de cette civilisation pré-romaine.

Londres aussi veut son sarcophage. Ça tombe bien, on lui en propose un. Plus étonnant encore que les deux autres. Le British Museum l’achète au fameux collectionneur Augusto Castellani, en 1873. Lui-même avait obtenu les différentes parties du sarcophage des frères Enrico et Pietro Pennelli, qui expliquaient les avoir mises au jour à Cerveteri.

Le doute n’a pas tardé: le British Museum exposait fièrement son acquisition depuis un an seulement quand un épigraphiste s’étonne. L’inscription sur le sarcophage lui rappelle quelque chose… Il reconnaît un texte repris tel quel d’une fibule du Louvre.

A peine une année plus tard, Enrico Pennelli avoue être l’auteur du faux. Devenu restaurateur pour le musée parisien, il explique avoir agi avec son frère. Ils ont enterré euxmêmes les différentes pièces du sarcophage à Cerveteri. Pietro nie et menace son aîné de procès. Enrico se rétracte, «apparemment convaincu par les “experts” qui croyaient à l’authenticité», note l’historien Jean-Pierre Thuillier dans la revue Raison présente (N°208, 2018).

La cause semble toutefois entendue: «C’est un chefd’œuvre, mais dont les auteurs vivent encore», résume l’historien de l’art Salomon Reinach, en 1886. Mais le British Museum s’entête. Il attendra 1936 pour retirer ce sarcophage et le reléguer dans ses réserves, d’où il ressortira une fois, en 2012: le musée archéologique de Pointe-à-Caillère, à Montréal, le présente comme exemple de fausse sculpture étrusque.

Tendance à exagérer

Pour Jean-Pierre Thuillier, ce sarcophage ne constituait pas un simple faux, mais «un horrible faux dont on se demande comment il a pu abuser, et si longtemps, des responsables officiels d’institutions culturelles». A ses yeux, cette œuvre – «d’une laideur absolue» – présentait, en plus du texte de la fibule du Louvre, des caractéristiques qui n’auraient pas dû tromper les experts. Comme la «nudité de l’époux absurde», l’«attitude ridicule des personnages» ou encore le «décor très chargé des deux longs panneaux de la cuve avec des détails incohérents».

Autrement dit, écrit Alexis Merle du Bourg dans le magazine Dossier de l’art*, «le sarcophage du British témoigne de caractéristiques propres à nombre de grands faux archéologiques. Prisonniers de leur propre époque, soucieux aussi de “ferrer” l’acheteur, les faussaires, invariablement, “en font trop”.»

Au-delà de la fierté et de l’aspect financier (difficile d’admettre qu’une œuvre payée cher soit un faux…), rappelons que la civilisation étrusque demeurait mal connue au moment de l’achat par le British Museum. «Les incohérences stylistiques et typologiques correspondaient à l’idée que l’on se faisait de l’art étrusque à cette époque, un art étrange, bigarré, pour tout dire anticlassique, qui aimait les mélanges, les asymétries, les proportions», écrit Marie-Laurence Haack**.

«Un simple coup d’œil…»

Quelques décennies plus tard, de fausses sculptures de la même époque ont fait une autre victime prestigieuse, le Metropolitan Museum de New York. Trois œuvres en terre cuite – deux guerriers et une tête casquée – figurent dans sa section étrusque, quand il l’inaugure en février 1933.

Le musée les avait achetées en multiples fragments, entre 1915 et 1921, en provenance de fouilles à Bagnoregio, au nord du Latium. Certes, des spécialistes émettent des doutes, notamment en raison des jambes très courtes d’un des guerriers, mais puisque la conservatrice, Gisela Richter, a authentifié les pièces.…

A l’époque, on néglige les voix dissonantes, comme celle de Massimo Pallotino, éminent étruscologue, qui écrivait dès 1937: «Un simple coup d’œil sur les photographies rend à notre avis superflue toute discussion technique et stylistique à propos des statues de terre cuite de New York.» Après quelques arguments détaillés, il affirme: «Nous sommes donc en présence de faux, miracle de technique et de décoration, semblet-il, mais pas pour autant de sensibilité stylistique et de vraisemblance historique.»

Plus tard, l’amélioration des techniques d’expertise a permis de lever les derniers doutes: une analyse a par exemple révélé la présence incongrue de manganèse dans les pigments. Le faussaire a fini par craquer: en 1961, le sculpteur italien Alfredo Fioravanti reconnaissait la paternité de ces sculptures. Avec les frères Riccardi, c’est même toute une entreprise de fabrication d’antiquités qui s’était mise en place à Orvieto. Un marchand avait servi d’intermédiaire avec le Metropolitan Museum.

Presque de l’auto-hypnose

Comme le soulignait Maurice Nadeau dans l’affaire du faux Rimbaud (La Gruyère du 7 juillet), «il ne suffit pas de se proclamer faussaire, il faut encore le prouver». Alfredo Fioravanti devait en être conscient, lui qui, lors de sa déposition, a brandi le pouce manquant d’une des statues, gardé en souvenir. «Quant aux jambes trop courtes, elles s’expliquaient par les dimensions trop réduites de l’atelier dans lequel s’activait cette petite bande de faussaires», précise Jean-Pierre Thuillier.

Comme souvent en matière de faux, l’aveuglement des experts demeure un des aspects les plus étonnants de l’histoire. Ou, comme l’écrit Alexis Merle du Bourg, «le niveau d’aberration frôlant l’auto-hypnose qui conduisit des spécialistes arrogants à s’obstiner à défendre l’authenticité de pièces monumentales qui paraissent provenir d’une superproduction de Cecil B.DeMille ou d’un péplum italien». ■

*Dossierdel’art, N°245, «Le faux dans l’art», 2016

** Marie-Laurence Haack, A la découverte des Etrusques, Editions La Découverte, 2021

Le Louvre aussi a eu son faux

A croire qu’aucun grand musée n’est à l’abri: au tournant du XXe siècle, le Louvre a également été victime d’escrocs. A moins que ce ne soit de sa crédulité. Ou de son orgueil. Quoiqu’il en soit, l’affaire de la tiare de Saïtapharnès demeure une des plus célèbres histoires de faux.

Tout débute vers la fin 1895, quand deux marchands viennois abordent le Kunsthistorische Museum de leur ville pour lui proposer une coiffe en or de 18 centimètres de diamètre et de hauteur, finement gravée. Ils affirment qu’elle appartenait à Saïtapharnès, roi scythe qui a vécu entre le IIe et le IIIe siècles avant notre ère. Le musée refuse, échaudé par la mauvaise réputation des vendeurs. Sollicité à son tour, le British Museum décline la proposition: vingt ans après l’affaire du sarcophage étrusque, il se méfie… En mars 1896, les deux compères se rendent au Louvre. Certains spécialistes, comme Salomon Reinach, font part de leurs doutes, mais s’inclinent devant la force de persuasion des conservateurs. Le 1er avril, le Musée peut fièrement présenter sa nouvelle acquisition.

Très vite, la presse se fait l’écho des débats sur l’authenticité de l’objet. Il faudra quelques années encore pour que le nom d’un orfèvre russe commence à circuler: Israël Rouchomovsky serait l’un des seuls artisans capables de sculpter une telle merveille, affirme un de ses confrères, établi dans le Marais.

Faussaire involontaire

Mis au courant de l’affaire, l’homme se rend à Paris en 1903 et va s’efforcer de convaincre les conservateurs du Louvre: «On l’enferme à l’hôtel de la Monnaie avec une feuille de métal et des outils pour qu’il renouvelle son exploit sous l’œil d’un témoin tenu à la confidentialité», raconte Laurence Sigal, historienne de l’art dans Dossier de l’art. Israël Rouchomovsky s’exécute. Déconfit, le Louvre retire sa tiare de Saïtapharnès.

L’affaire vaut à Israël Rouchomovsky une réputation d’orfèvre génial. Cette même année 1903, il remporte un prix au Salon des artistes français. Ce succès lui permet de réaliser son rêve: s’installer à Paris, où il passera les trente dernières années de sa vie. Il reste dans l’histoire comme un exemple de faussaire involontaire et donc impuni: la tiare de Saïtapharnès était un travail de commande, exécuté à la demande des deux marchands viennois. Ils lui ont fait croire qu’il s’agissait d’un cadeau pour un ami archéologue. Installés à l’étranger, eux non plus n’ont pas été inquiétés. EB

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