La Loterie Romande et Swisslos ont un quasimonopole pour les paris sportifs en Suisse.

Leurs revenus dans ce domaine ont explosé ces dernières années.

Les organes de prévention déplorent un marketing agressif, qui cible un jeune public particulièrement vulnérable.

XAVIER SCHALLER

JEUX D’ARGENT. La Coupe du monde de football a pris son envol. Les paris sportifs devraient suivre. Les gains annuels de la Loterie Romande (LoRo) ont bondi dans ce secteur, passant de 3 millions il y a dix ans à 38 millions en 2021.

La progression est particulièrement marquée depuis le lancement de la marque JouezSport, avec un site et une application depuis 2018. La nouvelle Loi sur les jeux d’argent de 2019 a aussi marqué un tournant. Depuis, seuls la LoRo et son homologue alémanique Swisslos ont le droit d’organiser des paris sportifs à grande échelle en Suisse (lire encadré).

L’augmentation des paris inquiète le milieu de la prévention: «Tous les jeux de hasard et d’argent ne se valent pas, souligne Camille Robert, spécialiste jeux d’argent au Groupement romand d’études des addictions (GREA). Les paris sportifs offrent un risque particulièrement élevé en raison de la possibilité de paris en direct (live betting), de la nature même du jeu et du public visé.»

Selon les études sociodémographiques des loteries, la majorité des parieurs sont des jeunes hommes de 18 à 29 ans. Mais la LoRo se défend de cibler cette population, considérée comme particulièrement vulnérable. «Un des buts de la nouvelle loi était de rapatrier les joueurs des sites illégaux vers les loteries légales, rappelle Danielle Perrette, directrice Communication à la LoRo. Notre progression montre que nous avons atteint cet objectif, pas que nous avons attiré tellement de nouveaux joueurs. D’ailleurs, les gains ne progressent plus tellement en 2022.»

Fin 2020, une conseillère nationale genevoise avait pourtant dénoncé au Conseil fédéral la campagne de pub de la LoRo. Cette dernière visait selon elle les jeunes, voire les mineurs interdits de paris. Certains se souviennent peut-être du texte: «Bienvenue dans le monde de ceux qui ne s’ennuient jamais devant un match, ceux qui savent gagner en cas de défaite, ceux pour qui prédire le futur devient une seconde nature.»

Or, un des problèmes avec les pronostics sportifs, c’est justement que les joueurs surestiment leurs chances. «Ils ont l’impression d’avoir un contrôle sur le jeu, de pouvoir prendre les bonnes décisions grâce à leurs compétences, indique Antoine Bays, spécialiste de jeux d’argent à REPER, association fribourgeoise active dans la prévention des dépendances. Mais c’est toujours une affaire de hasard et de cotes fixées par des algorithmes.» Camille Robert renchérit: «Connaître le sport n’améliore pas les paris. Les études montrent que, sur le long terme, les chances de gains sont les mêmes pour tous.»

Au final, le Conseil fédéral a estimé que la loi avait été respectée en 2020. Danielle Perrette signale que le spot publicitaire diffusé depuis un mois «met en scène des adultes de tous horizons. Et depuis avanthier, il se termine par un message de prévention de quatre secondes, avec le numéro de SOS-jeu. Alors que rien ne nous y oblige.»

Moyens de prévention

SOS-jeu est le portail du Programme intercantonal de lutte contre la dépendance au jeu. «Les cantons romands ont mis leurs billes ensemble pour proposer une ligne d’aide gratuite 24h/24, des instruments de prévention et de soutien grand public, ainsi que des conseils aux professionnels», indique Jean-Claude Simonet, chef du Service de l’action social du canton de Fribourg. Les billes en question, c’est une partie des 5,3 millions de francs que la LoRo verse aux cantons pour la prévention du jeu excessif. Ce qui représente 0,5% des gains réalisés par ses loteries et paris. «Cela peut paraître peu, mais c’est bienvenu, note Antoine Bays. Pour d’autres addictions, comme celles aux écrans, il y a beaucoup de demandes mais pas d’argent.»

Concernant les paris sportifs, les principales demandes adressées à REPER concernent des parents qui s’inquiètent et demandent un coaching pour leur enfant. Mais Antoine Bays souligne que seulement 3% des personnes addicts aux jeux d’argent se font soigner. «Et il faut en moyenne entre cinq et sept ans pour qu’elles demandent de l’aide. Autant dire qu’il peut déjà y avoir pas mal de ravages.» Jean-Claude Simonet retient un message principal: «Il faut oser parler si on a un souci. On ne va pas accabler les gens, mais les écouter et les aider. Des outils existent.»

Seulement 30% en ligne

Pour la LoRo, les paris en ligne permettent au moins un certain contrôle, avec un login, des limites fixées par le joueur et des habitudes de jeux suivies par un algorithme. Mais cela ne concerne que 30% des mises, la grande majorité passant toujours par les dépositaires.

Les critères de la LoRo pour détecter les joueurs problématiques en ligne devraient néanmoins être plus stricts, aux yeux de Camille Robert: «Pour entrer dans cette catégorie, il faut perdre 2000 francs trois mois de suite, ou trois fois 2000 francs sur six mois.» D’autant que, comme le souligne Antoine Bays, «ce n’est pas la somme perdue qui est importante, c’est de savoir si cette perte met la personne en difficulté ou pas. Pour un apprenti, quelques centaines de francs en moins peuvent suffire.» ■

Paris légaux et illégaux

En Suisse, seuls les paris en lien direct avec un événement sportif sont permis. Tout autre type de paris est banni – alors qu’avec les bookmakers anglais par exemple, on peut miser de l’argent sur tout et n’importe quoi: la météo, les élections ou la vie de la famille royale. Seuls Swisslos et la Loterie Romande sont autorisés à proposer des paris sportifs dans plus d’un canton, automatisés ou en ligne. «Des paris sportifs locaux peuvent être proposés par d’autres associations ou entreprises, mais ils doivent avoir lieu au même endroit que l’événement concerné (par exemple un hippodrome)», explique le site de l’Office fédéral de la justice (OFJ). Dans le cercle privé, les jeux d’argent sont autorisés à certaines conditions. Il doit exister un lien, par exemple familial ou professionnel, entre les joueurs. Il ne peut y avoir qu’un petit nombre de participants, la somme des gains doit être faible et l’organisateur ne peut tirer aucun avantage financier du jeu. Rappelons aussi que parier sur des sites illégaux n’est pas punissable et reste techniquement assez simple. «Ce qui est interdit, c’est d’exploiter des jeux d’argent en ligne qui ne sont pas autorisés.» XS

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«Connaître le sport n’améliore pas les paris»

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