Fondateur et premier directeur de Fri-Art, Michel Ritter avait aussi une production artistique, restée peu connue. Une exposition la met en valeur, pour les 40 ans du centre d’art de Fribourg.

ÉRIC BULLIARD

EXPOSITION. Ce sont de petites choses, en apparence. Des photos découpées, quelques traits de couleurs, des collages, des perforations, des objets détournés. Michel Ritter (1949-2007) appréciait la subtilité ironique et l’exposition que Fri-Art propose jusqu’au 9 janvier montre à quel point elle imprégnait aussi son travail d’artiste.

C’est une révélation, en vérité, tant l’œuvre de Michel Ritter est restée occultée par son travail de curateur, par l’énergie qu’il a mise à fonder, puis à diriger Fri-Art, avant de s’exporter au Centre culturel suisse, à Paris. Intitulée Air Power = Peace Power, l’exposition du centre d’art fribourgeois constitue le premier regard porté sur cette production, dont la majeure partie n’a jamais été présentée au public.

L’essentiel de l’accrochage est constitué d’œuvres sur papier, souvent minimalistes. Au centre de la salle principale s’étend un rouleau d’orgue de Barbarie, qui ressemble autant à un long sparadrap qu’à une piste d’atterrissage pour avion de chasse. En s’approchant, on remarque que l’œuvre musicale sur le rouleau, signée Johanna Kinkel, s’intitule Ritters Abschied…

Michel Ritter pratique volontiers ce type de décalage souriant, parfois poétique, parfois plus amer, voire rageur. De ses nombreux voyages, il a gardé une ouverture sur le monde et ses problèmes, avec une conscience aiguë de la déformation qu’implique le point de vue occidental.

Son art rappelle parfois celui de Duchamp, pas vraiment le Duchamp de l’urinoir, mais celui de la moustache sur La Joconde, peut-être en moins potache. En une pincée de ouate qui cache un visage, en deux touches de gouache, en trois traits de stylo, en quelques trous de perforatrice sur des photos de bébé, Michel Ritter donne un autre sens aux images, tout en posant des questions sur leur statut.

Une invitation

Certaines œuvres paraissent fortement ancrées dans leur époque, les années 1960-1970. Les plus politiques, notamment, encore que les figures du Che et de Fidel Castro sont devenues iconiques et ont acquis un poids supplémentaire. D’autres paraissent très actuelles, à l’instar de celles qui questionnent l’instrumentalisation des figures féminines.

Le titre de l’exposition, Air Power = Peace Power vient d’un slogan de l’armée de l’air américaine, trouvé sur un panneau que Michel Ritter a ramené des Etats-Unis. Mais le thème de l’air se retrouve aussi dans la manière de jouer avec l’espace. Qu’il soit réel, ces photos minuscules étant souvent présentées dans de larges cadres, ou mental, à travers cette volonté de laisser une place à la réflexion du spectateur.

L’invitation à la participation du visiteur se retrouve dans les sculptures installées dans le couloir, ces (fausses) têtes de chamois qui ferment des bonbonnes de gaz, comme dans l’utilisation de petits soldats de plastique. On les découvre aussi bien sur un coussin gonflable que dans l’imposante œuvre installée à côté de la réception, autour d’une autre sculpture de chamois-bonbonne et d’un casque de coiffure. A chacun de tirer les liens et les conclusions…

Vidéo et surréalisme

Juste à côté, une autre curiosité: des films de Michel Ritter sont projetés, en boucle, témoignant de son intérêt pour la vidéo, mais aussi de ce même goût pour le détournement d’objets usuels. Dans la tradition issue du surréalisme, il joue de la rencontre, sans doute pas fortuite, d’éléments disparates qui créent la surprise.

Cette exposition, qui fait partie des commémorations du quarantième anniversaire de Fri-Art, permet ainsi de retrouver quelques aspects de l’esprit de Michel Ritter. Il y a de l’émotion à goûter, à travers ses œuvres, un peu de son sourire espiègle et de ses idées généreuses. Cette conviction, aussi, que l’art et la pensée peuvent se conjuguer avec la légèreté. A l’image de cette machine à bulles qui ouvre et clôt l’exposition, à la fois mécanique, fragile et poétique. ■

Fribourg, Fri-Art, jusqu’au 9 janvier, du mercredi au vendredi,12 h-18 h, samedi et dimanche, 13 h-18 h. www.fri-art.ch

La matière, le vide, la tension

Au rez-de-chaussée, en parallèle à l’exposition consacrée à Michel Ritter, Fri-Art présente un projet inédit de Ceylan Öztrük. En une série d’œuvres présentées comme des «aphorismes spatiaux», l’artiste turque installée à Zurich s’interroge sur le statut même de la sculpture. MatterofNonaborde les questions de vide, de matière, de matériaux, avec une mise en tension entre la pierre, le marbre (avec son symbolisme funèbre) et le corps, la chair. D’autres éléments comme des lampes chirurgicales évoquent des douleurs personnelles. Un récit de fiction, intitulé Lemotif, écrit en parallèle, vient apporter un éclairage supplémentaire à cette troublante exposition-installation. EB

Bio express

1949 Naissance de Michel Ritter à Fribourg.

1969 Durant plusieurs années, il voyage en Inde, au Népal, au Mexique, en Australie, en Amérique du Sud…

1974 De retour à Fribourg, il fonde, avec le peintre Bruno Baeriswyl, la galerie RB. Autodidacte, il expose ses propres œuvres en 1976 et 1978.

1979 Michel Ritter devient le premier occupant de l’atelier d’artiste du canton de Fribourg à New York, une ville où il séjourne régulièrement et où il noue de nombreux contacts dans le milieu de l’art contemporain. Cette même année, il crée l’association Fri-Art.

1981 Pour le 500e anniversaire de l’entrée du canton de Fribourg dans la Confédération, Michel Ritter organise avec des amis une exposition dans l’ancien centre diocésain (quartier d’Alt). C’est l’acte fondateur de Fri-Art.

1990 Fri-Art s’installe aux Petites-Rames 22, ancienne usine de carton devenue asile de nuit.

2002 Michel Ritter quitte Fri-Art pour prendre la direction du Centre culturel suisse, à Paris.

2007 Il meurt d’un cancer, à Paris. A côté de l’entrée de Fri-Art, une plaque est apposée avec une de ses phrases: «Pourrait-on faire juste un peu plus?»

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