Pour la première création de leur compagnie, Nicolas Müller et Patric Reves se penchent sur le monde du travail. ErwinMotor,dévotion se joue dès mardi à Nuithonie.

ÉRIC BULLIARD

THÉÂTRE. Ils ont créé leur compagnie, Acide bénéfique, avec une idée de base: monter des textes contemporains. De ceux qui posent un regard sur notre société. Pour leur première création à Nuithonie, à Villarssur-Glâne (du 17 au 22 janvier), Nicolas Müller et Patric Reves se sont mis d’accord pour Erwin Motor, dévotion, de la Française Magali Mougel.

«Nicolas avait déjà travaillé sur un texte de Magali Mougel, raconte Patric Reves. Cette pièce nous a convaincus par son contenu et les échos qu’elle propose.» «Je crois que j’aime bien la difficulté, sourit Nicolas Müller. Pour une compagnie émergente, il est sans doute plus facile de monter Shakespeare, Molière, une comédie ou une histoire d’amour.»

Ce texte centré sur le monde ouvrier lui parlait, poursuit le comédien et metteur en scène. En précisant que sa grandmère a «travaillé en usine toute sa vie» et qu’il vient d’une famille paysanne, où «l’on ne compte pas ses heures», où le travail et la vie quotidienne se confondent.

Erwin Motor, dévotion se déroule dans une petite entreprise de sous-traitance automobile. Cécile Volanges y est active la nuit, à la chaîne de montage. Employée modèle, elle n’en fait toutefois jamais assez aux yeux de son responsable, Monsieur Talzberg. Quand la productivité diminue, la directrice, Madame Merteuil, menace de délocaliser l’entreprise et cherche la coupable de cette baisse.

La valeur travail

Volanges? Merteuil? Ces noms ne sont évidemment pas innocents: Magali Mougel reprend les figures des Liaisons dangereuses pour les placer dans un contexte professionnel. Où se déroulent aussi des jeux de pouvoir et de domination, de séduction et de dévotion… Elle prolonge en outre Quartett de Heiner Müller, qui revisitait lui aussi le classique de Choderlos de Laclos. Ajoutons que le nom Talzberg n’est autre que la traduction allemande de Valmont…

Il n’est toutefois pas nécessaire d’avoir lu (ou vu) Les liaisons dangereuses pour apprécier la pièce, précisent Patric Reves et Nicolas Müller. «Mais ceux qui la connaissent y trouveront des clins d’œil.» L’essentiel reste toutefois de questionner notre relation au travail. Avec cette «dévotion» du titre qui semble particulièrement appropriée au contexte suisse, même si l’auteure vient des Vosges.

«Nous vivons dans un pays où l’on se valorise à travers son activité professionnelle, relève Patric Reves. Où il est important de dire que l’on est débordé, mais que l’on gère. Nous ne voulons pas montrer que le travail, c’est mal, mais interroger ce discours.»

Responsabilité partagée

La naissance de la compagnie Acide bénéfique, pendant la pandémie, tient aussi de l’histoire d’amitié. Les deux comédiens et, désormais, metteurs en scène se connaissent de longue date: ils se sont côtoyés au Conservatoire de Fribourg, puis à l’lNSAS (Institut national supérieur des arts du spectacle), à Bruxelles. Une première expérience commune pendant le festival Les Impromptus les a convaincus de poursuivre l’aventure.

«Nous sommes sensiblement différents, avec des affinités, mais aussi des points de divergence», raconte Patric Reves. Pour une première mise en scène, travailler à deux s’est révélé rassurant. «C’est une responsabilité partagée.» Aucun des deux ne souhaitait en revanche renoncer à jouer. «J’avais peur, en signant uniquement la mise en scène, de me dire tout le temps “je préférerais être sur le plateau”», indique Nicolas Müller. Pour avoir un regard extérieur, ils ont fait appel à Laura Moreno comme assistante à la mise en scène.

De l’expérience

Tous deux se réjouissent en outre d’avoir pu s’appuyer sur «des personnes d’expérience». Aussi bien à la technique (David Kretonic pour la lumière, Stéphane Mercier pour le son, Valeria Pacchiani à la scénographie, Marie Romanens aux costumes) que dans le jeu, où se côtoient Jacqueline Corpataux et Juliette Vernerey.

La première tient le rôle de Madame Merteuil, la directrice. «Jacqueline Corpataux aime les textes et, dans le jeu, elle est extraordinaire. Nous avons très vite eu envie de travailler avec elle. C’est un cadeau.» Quant à Juliette Vernerey, qui joue Cécile Volanges, elle est aussi issue du Conservatoire de Fribourg et de l’INSAS. «Nous avons un passé commun et un lien de travail avec elle. C’est une comédienne magnifique.» ■

Villars-sur-Glâne, Nuithonie, du 17 au 22 janvier, www.equilibre-nuithonie.ch

«Le seul exercice de la pensée»

Née en 1982 dans les Vosges, Magali Mougel se consacre entièrement à l’écriture théâtrale depuis 2014, après des études de philosophie et un master en Recherche en arts du spectacle. Son écriture, cinglante, fouaille régulièrement notre société et ses dérives, avec un point de vue féministe assumé. Suzy Storck (2013) met en scène une femme épuisée par sa vie quotidienne. La trilogie Guérillères ordinaires (2013) comprend trois monologues, trois destins tragiques de femmes. Publiée en 2012, Erwin Motor, dévotion a été finaliste du Grand prix de littérature dramatique, l’année suivante.

Depuis, Magali Mougel a écrit de nombreuses pièces et collaboré avec diverses institutions dans toute la France. Traduits en plusieurs langues, ses textes à la poésie âpre, ancrés dans le réel, lui permettent de «pointer du doigt les dysfonctionnements de la société et les femmes qui en sont victimes sans cesse», expliquait-elle en 2019 dans Vosges Matin. Avant d’ajouter que «le théâtre est le seul exercice de la pensée. Il peut éveiller les consciences.» EB

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