Le Conseil d’Etat a rendu public son rapport sur «l’état des lieux actuel des médias fribourgeois, de leur financement et de leur avenir». En résumé, il conclut que les entreprises de médias sont fragiles, que leur rôle est essentiel, mais que le canton ne fera rien de concret pour leur venir en aide. Réactions.

XAVIER SCHALLER

MÉDIAS. En septembre 2021, à l’unanimité moins une abstention, le Grand Conseil avait accepté un postulat pour un «état des lieux actuel des médias fribourgeois, de leur financement et de leur avenir». Le Conseil d’Etat a rendu hier un rapport. Ce document laisse sur leur faim tant Grégoire Kubski, l’un des postulants, que le directeur de Saint-Paul Médias SA Serge Gumy, ou Markus Baumer, directeur financier et administratif de Radio Fribourg-Freiburg et administrateur de La Télé.

Tous trois saluent néanmoins l’analyse effectuée. Serge Gumy trouve le rapport bien construit, solide et conforme à la réalité économique des médias fribourgeois. «Une situation que le Conseil d’Etat décrit lui-même comme fragile.» Le document revient sur l’effondrement des recettes publicitaires, le vieillissement du lectorat, les changements d’habitude de consommation médiatique, le bilan «souvent décevant» des stratégies axés sur internet…

Serge Gumy, éditeur de La Liberté, La Gruyère, Le Messager et La Broye, se dit en revanche déçu des solutions proposées ensuite. «Ou plutôt de l’absence de solutions concrètes véritablement proposées. Le Conseil d’Etat s’en remet à la Confédération, alors que des aides fédérales sont pour l’instant au point mort sous la Coupole.»

Quatre pistes à analyser

Sur les quatorze pages du document, deux sont consacrées aux possibilités d’aides. Une première pour dire ce qui pourrait être fait, avec «l’analyse de quatre pistes d’action», une seconde pour balayer certaines solutions envisagées par d’autres.

Le Conseil d’Etat commence par la promotion de l’innovation pour la transition numérique. Le rapport cite pour cela «le coaching ou le financement de projets innovants». En précisant qu’il faut encore «évaluer dans quelle mesure les instruments disponibles» pourraient être utilisés pour les médias.

Deuxième piste: la promotion de la citoyenneté. «Dans une perspective de citoyenneté et de participation aux affaires publiques, la qualité et l’accessibilité de l’information sur l’actualité régionale constituent un enjeu crucial.» Notamment pour les jeunes. L’Etat pense que l’école fait sa part et «joue un rôle essentiel en thématisant auprès des jeunes le traitement critique de l’information». Il estime que c’est aux médias de trouver des formats qui parlent aux jeunes. Mais il est «prêt à engager un dialogue avec les acteurs médiatiques fribourgeois sur cette question».

Serge Gumy y voit une contradiction: «Le Conseil d’Etat attend des médias privés qu’ils mettent sur pied des formats à l’attention des jeunes pour faire leur éducation civique et les sensibiliser aux grands sujets politiques du moment. Si l’on doit s’adresser aux jeunes, la gratuité sera de mise, parce qu’ils n’auront probablement pas les moyens de payer pour une offre journalistique. Donc, on nous demande de développer de nouveaux contenus qui seraient gratuits sans qu’il y ait la moindre aide en contrepartie.»

Pour répondre aux nombreux défis, le Conseil d’Etat veut aussi «instaurer une table ronde des médias». Elle réunirait une délégation du Gouvernement et des représentants des entreprises de médias. Enfin, il «entend intensifier ses efforts pour faire avancer les discussions sur le plan fédéral sur l’aide aux médias régionaux».

A ne pas approfondir

En revanche, il ne «souhaite pas approfondir les réflexions» sur d’autres mesures de soutien. Comme des abonnements gratuits ou à prix réduit pour les jeunes citoyens (lire encadré), le soutien à une agence de presse, des mesures fiscales ou la création d’une fondation pour mettre en œuvre une politique d’aide aux médias.

Ce dernier point fait bondir le socialiste Grégoire Kubski: «Je trouve qu’il s’agit d’un rapport à tout le moins paresseux et qui est rempli de paradoxes.» Pour lui, les mesures envisagées sont juste inexistantes ou pas adaptées aux milieux concernés. Les autres sont écartées sans réflexion.

Cela l’énerve spécialement pour l’idée d’une fondation. «Le Conseil d’Etat nous dit qu’une aide risque de mettre en danger l’indépendance des rédactions. Mais l’idée d’une fondation, qui pourrait éviter que de l’argent ne soit donné directement par l’Etat, est shootée en un paragraphe, sans arrondissement.»

Espoirs nés de la votation

Dans son rapport, le Conseil d’Etat souligne son soutien au paquet fédéral d’aide aux médias, lors de la votation de février dernier. Le soutien avait été refusé au niveau fédéral, mais accepté par plus de 57% des Fribourgeois. «Pour ce rapport, j’avais beaucoup d’espoir, vu ce résultat cantonal, note Markus Baumer. Je m’attendais à ce que le Conseil d’Etat entre en matière pour un soutien.»

Agir en pompier?

Le résultat publié hier laisse «perplexe» le directeur financier de Radio Fribourg-Freiburg. «J’aurais espéré davantage de concret.» Il est d’autant plus déçu que «le Conseil d’Etat a eu une très belle réaction durant la crise Covid. Par rapport à l’urgence, il avait montré une belle réactivité, une bonne écoute.»

Et Grégoire Kubski de conclure: «Le Conseil d’Etat veut juste attendre qu’un média se casse la figure, avant d’essayer d’agir en pompier.» ■

Le Gouvernement n’est pas favorable aux abos gratuits

Les députés Marie Levrat (ps, Vuadens) et Brice Repond (Vert’libéraux, Bulle) proposaient d’offrir aux nouveaux citoyens du canton une année d’abonnement à un journal fribourgeois. L’offre serait valable pour la version papier ou électronique, sur demande. Le Conseil d’Etat recommande au Grand Conseil de rejeter leur motion.

Dans sa réponse, il souligne que «les médias locaux et régionaux apportent une contribution indispensable à la vie institutionnelle et démocratique». Mais le Gouvernement constate qu’une proportion très faible des jeunes de 12 à 19 ans lit régulièrement des journaux, que ce soit au format papier ou numérique. «Le caractère payant de l’offre ne semble pas constituer le principal obstacle, car le nombre de jeunes qui consultent les journaux gratuits n’est pas plus élevé.»

Le Conseil d’Etat doute de l’efficacité de la mesure. Pour lui, l’enjeu consiste «plutôt à développer des contenus médiatiques de qualité dans les formats utilisés par cette catégorie d’âge. Il s’agit là surtout d’une responsabilité des médias.» XS

Commentaire
FRANÇOIS PHARISA

Ne surtout rien faire, dit le Conseil d’Etat

AIDE À LA PRESSE. Le Conseil d’Etat estime les médias locaux et régionaux «indispensables à l’animation du débat démocratique dans le canton». Et il est «extrêmement conscient» que ces derniers se trouvent dans une situation économique «fragile». Mais pour lui, il est urgent de ne rien faire.

Dans son rapport sur le financement et l’avenir des médias fribourgeois, rendu hier à la suite d’un postulat déposé par les députés Grégoire Kubski (ps) et Benoît Rey (pcs), le Gouvernement accumule les paradoxes. Il constate le problème, identifie les risques, dit les craindre, mais ne souhaite pas apporter de solutions pour les éviter. Ou du moins, pas de solutions permettant réellement de les éviter.

Comme partout ailleurs, la marge de manœuvre de la presse fribourgeoise est limitée. D’une part, la pression sur les coûts s’accentue, en raison de l’érosion des recettes publicitaires et de la stagnation des abonnements. D’autre part, la transition numérique réclame d’importants investissements, sans garantie aucune de pouvoir monétiser suffisamment l’offre en ligne.

Le canton admet que cette situation aura à terme «probablement un effet négatif sur la densité et la qualité de la couverture médiatique régionale». Et d’insister qu’une «telle détérioration constituerait un scénario extrêmement négatif du point de vue de la vie démocratique et institutionnelle».

Toutefois pour répondre à ce défi, le Conseil d’Etat ne veut pas entendre parler d’une quelconque aide structurelle à la presse. L’aide apportée pendant le Covid, «inédite en Suisse», était temporaire. Non, pour maintenir le service public que les journaux assurent – service mis en évidence dans le rapport – le Gouvernement préfère des solutions qui n’en sont pas: l’organisation d’une table ronde ou l’intensification des efforts de lobbying à Berne notamment. Un manque d’anticipation et d’ambition décevant. ■

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Les médias fribourgeois devront se débrouiller sans aides de l’Etat

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