La Bulloise Mélanie Richoz publie un nouveau roman. En suivant une dame âgée qui perd la mémoire, Mouches retranscrit avec force la désorientation et la perte de repères. Rencontre avec une auteure qui ne craint pas de se frotter «aux choses que l’on tait».

ÉRIC BULLIARD

LITTÉRATURE. Ne pas se fier à sa voix douce et à son sourire généreux. Dans ses romans, Mélanie Richoz n’hésite pas à parler de sujets graves, à fouiller l’humain, même dans ses côtés sombres. «Je trouve important de parler de choses que l’on tait habituellement et qui font des dégâts.» Après, entre autres, l’autisme dans J’ai tué papa et le traumatisme dû aux malformations gynécologique dans Le bus, son nouveau roman, Mouches, traite de l’âge et de la perte de mémoire.

Comme pour presque chacun de ses livres, l’auteure bulloise est partie de la réalité. Cette fois-ci d’une dame qui vivait en face de chez elle. «Elle perdait la tête et j’ai été témoin de cette souffrance. Je l’ai vue accrochée à son portail en criant: “Laissez-moi entrer!”» Elle se souvient aussi de sa grandmaman, atteinte d’Alzheimer, ainsi que de la période où elle a travaillé en EMS, durant sa formation d’ergothérapeute.

Pour faire écho à la perte de mémoire, Mélanie Richoz s’est lancée dans l’écriture en suivant l’idée de la désorientation. «C’est une contrainte qui m’a servi.» Dès les premières pages, le lecteur se sent, lui aussi désorienté: le roman navigue entre les temps, entre les lieux, passe du «elle» au «je», d’un home au Café du Soleil, d’aujourd’hui à hier et avant-hier.

On aurait pu se perdre, en suivant ainsi Josiane (ou Mme Dumas ou Jo) dans sa confusion intérieure. Il faut, au contraire, avancer en confiance dans une brume certes déstabilisante, mais qui n’empêche pas de suivre le fil. Parce que le roman, l’un de ses plus réussis, demeure en équilibre subtil entre ce sentiment de désorientation et la clarté du récit.

L’art de la brièveté

«Il faut accepter de ne pas tout comprendre immédiatement, reconnaît Mélanie Richoz. Je pense que cela crée une attente et tout le monde ne comprendra pas les mêmes choses.» Et de citer l’exemple d’Henri, un souvenir de Josiane, qui restera volontairement un peu flou. Ou peut-être que l’on préfère ne pas trop bien comprendre et ne pas s’arrêter sur ce drame suggéré…

Une fois de plus, Mélanie Richoz ne s’étend pas plus qu’il ne faut: son roman reste bref, à peine plus de 80 pages. «On me dit parfois que c’est trop court, mais c’est ma manière de faire», lâche-t-elle avec presque un regret.

Une manière, en tout cas, idéale pour ciseler les mots, pour jouer sur les non-dits et les silences. Sollicité pour une relecture, l’écrivain vaudois Michel Layaz lui a d’ailleurs encore conseillé d’élaguer, d’enlever certaines phrases ou certains mots. «Il a beaucoup insisté sur la force du texte.»

Comme un puzzle

Et il y en a, de la force dans ces phrases ramassées et parfaitement rythmées, dans ces images fulgurantes, comme «ce corps froid qu’une mouche, à l’orée des narines, suçote». L’incipit, déjà, claque: «Josiane habite une vie trop petite.» Le texte ne perdra plus cette intensité et abordera, outre la perte de mémoire, des thèmes comme la vieillesse, le deuil, les regrets, nos relations aux aînés…

Mélanie Richoz avoue travailler sans plan préétabli et avance plutôt «morceau par morceau, comme un puzzle. Je suis hyperlente, mais régulière. Je pioche dans ce que j’entends et ce que je vois.» Avec, parfois, «des images trop violentes pour que je n’en fasse rien».

On revient sur le côté parfois sombre de ses écrits. «J’ai toujours peur d’être trop fleur bleue ou trop midinette», rigole-t-elle. Avant de reprendre: «Je pense que l’on peut tout dire, si l’on trouve la forme juste. Pour moi, les livres sont des témoignages, des histoires de vie. Parce que je crois en les gens, je crois aux émotions…» ■

Apollo et Kotimi à la galerie Trace-Ecart

Au côté de ses romans, Mélanie Richoz a régulièrement publié des ouvrages en collaboration. En particulier avec un dessinateur ou une dessinatrice, à l’image de Ma même pas belle-mère, sorti à la fin de l’année dernière aux Editions Fleurs Bleues, avec des illustrations signées Emilien Devaud.

Le livre évoque la rencontre entre Emilie et la nouvelle amoureuse de son père, Anne. «J’ai écrit ce texte il y a sept ans», raconte Mélanie Richoz, en expliquant à quel point la bande dessinée (ou le roman graphique) demeure un processus lent et compliqué. «Mais c’est plus ludique: ça me fait rire de voir à quel point tout est transformé par l’illustration.»

En 2020, l’auteure gruérienne sortait Apollo, suite de textes courts autour de la maternité, illustrés par Kotimi. «Je ne la connaissais pas, mais j’adorais ses livres pour enfants», raconte-t-elle, encore émerveillée de cette collaboration. «Je l’ai contactée, elle a accepté. C’est beau de trouver quelqu’un qui partage ton univers!»

Lecture, musique et dessins

Née au Japon, installée à Paris, Kotimi se trouve à Bulle ces jours, puisqu’elle est l’invitée de Trace-Ecart, dès ce vendredi. La galerie de la rue de Gruyères expose une série d’œuvres où l’artiste se fonde sur la tradition de l’eau-forte et de la pointe sèche pour mieux expérimenter et inventer.

Trace-Ecart accueille en parallèle des travaux de Yaeka Tabara. Céramiste japonaise installée en Suisse, elle présente des animaux réels ou issus de son imagination. La venue de Kotimi offre à Mélanie Richoz l’occasion de proposer à nouveau une performance autour d’Apollo. Elle avait eu lieu une première fois à Ebullition, avec la musicienne Emilie Zoé, puis au Livre sur les quais, à Morges, avec Patrick Dufresne.

«Petite bulles de pensées»

Cette fois-ci, la mise en musique sera l’œuvre de Dragos Tara, contrebassiste et artiste sonore. Il jouera pendant que Kotimi dessinera et que Mélanie Richoz lira des extraits du livre. «C’est un dialogue entre les dessins, la musique et le texte, qui apparaît sous la forme de petites bulles de pensées». EB

Bulle, galerie Trace-Ecart, performance Apollo samedi 26 mars, 20 h 30. Réservations sur: www.traceecart.ch. Exposition Kotimi et Yaeka Tabara, jusqu’au 17 avril, vendredi 17 h-20 h, samedi et dimanche, 11 h- 17 h. Vernissage ce vendredi, 18 h

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