Le dossier éolien a provoqué nombre de dégâts dans la région, tant au niveau de la gouvernance des communes que de l’ambiance qui y règne.

Auteur du Plan directeur cantonal proposant sept périmètres éoliens, le canton n’a ensuite pas participé au débat public.

Chargé de l’énergie, le conseiller d’Etat Olivier Curty explique les raisons de ce silence. Il répond aux questions que beaucoup de citoyens se posent.

VALENTIN CASTELLA

ÉNERGIE ÉOLIENNE. Sur scène de la fameuse assemblée communale de Vuisternens-devant-Romont, durant laquelle les citoyens favorables à l’énergie éolienne avaient été hués par une salle remontée comme jamais, la commune, Groupe E et des opposants. Tous les acteurs de ce dossier clivant avaient répondu présent pour débattre. Tous, sauf un: le canton, qui avait décliné l’invitation de l’Excécutif.

Le Gouvernement est pourtant l’auteur du Plan directeur cantonal dans lequel figurent les sept périmètres susceptibles d’accueillir un parc éolien. Pourquoi n’est-il pas intervenu publiquement lorsque le débat a dérapé? Chargé du dossier, le directeur de l’Economie et de l’emploi Olivier Curty se justifie et met les choses au point.

Le canton a-t-il manqué de courage en laissant Groupe E affronter seul la tempête?

Non, le Gouvernement n’a pas manqué de courage. Trois acteurs avaient un rôle à jouer. L’Etat s’est occupé de la planification en définissant sept périmètres éoliens. Il a répondu aux attentes du droit fédéral lié à la votation sur la stratégie énergétique. En 2017, le Plan directeur cantonal a été mis en consultation. Tous les documents étaient disponibles. De nombreuses séances d’information ont eu lieu. A ce moment-là, nous avons communiqué que la suite des opérations concernait les communes et un éventuel développeur. En mentionnant qu’aucun mandat n’allait être attribué par l’Etat et que les intéressés devaient avancer ensemble, sous l’impulsion des communes. Malheureusement, les débats se sont envenimés et c’est parti dans tous les sens.

Aucune erreur de la part du canton donc…

Le Gouvernement a fait son travail dans les règles. Je regrette un seul acte. Nous n’aurions pas dû communiquer la validation du Plan directeur cantonal à Vuisternens-devant-Romont, une commune où figure un périmètre éolien. Cette conférence de presse n’a pas été appréciée par la population et plusieurs membres du Conseil communal ont été attaqués personnellement par la suite. Nous aurions dû présenter les projets à Fribourg dans un endroit neutre.

Imaginiez-vous que le dossier éolien prendrait autant d’ampleur?

J’attendais des réactions en 2017, lors de la mise en consultation du Plan directeur cantonal. Mais elles furent discrètes. Ce n’est que quatre plus tard que le sujet s’est transformé en un débat houleux, alors que la planification n’avait pas changé. Je regrette particulièrement les attaques injustifiées contre les élus communaux.

Pourquoi n’avez-vous pas repris les rênes du dossier pour calmer le jeu?

Nous avons essayé en accueillant des opposants, en discutant avec Groupe E et en répondant à de nombreux courriers, téléphones et instruments parlementaires. Aurions-nous dû en faire plus? Peut-être davantage communiquer. Mais je rappelle que le rôle du canton n’est pas de se mêler des relations entre un développeur et une commune.

Ce sujet oppose deux camps aux arguments contradictoires. Qui croire?

Il faut comprendre que, aujourd’hui, seul les périmètres des parcs sont définis. Personne ne peut juger un projet avec aussi peu d’informations. Le nombre de machines, les emplacements précis, les hauteurs et les impacts sont inconnus. Des études plus poussées doivent être réalisées pour mesurer le vent, connaître les impacts sur la faune, la flore, la population et la rentabilité.

Certains opposants glânois affirment, preuves à l’appui selon eux, qu’il n’y a pas assez de vent. Que leur répondez-vous?

Que je n’en sais rien et qu’il faut étudier la question. Le Plan directeur cantonal est principalement basé sur l’atlas des vents, un document de la Confédération. Cet outil, complété par d’autres données, offre une vue d’ensemble. Mais ces valeurs ne sont pas assez précises. C’est pour cette raison que des mesures de longue durée devraient être effectuées. Si le vent n’est pas au rendez-vous, aucun développeur n’investira. Ce n’est pas un hasard si le canton a défini sept périmètres, alors que quatre sont suffisants.

Elément indispensable selon la Stratégie énergétique 2050 du Conseil fédéral, l’éolien peut-il être imposé aux communes?

Ni le canton ni la Confédération ne l’imposeront. La modification du Plan d’affectation local reste de la compétence des communes. Par contre, si un développeur s’intéresse à la faisabilité d’un projet, cellesci ne peuvent pas s’opposer à la phase d’analyse.

Des études peuvent être réalisées sans l’accord de la population?

Oui. Mais, si vous êtes développeur et que vous avez essuyé avant les analyses un «non» cinglant de la part de la population, vous n’allez pas investir de l’argent dans des études pour ensuite ne pas poursuivre les travaux.

La population des sites concernés semble réticence à l’idée d’accueillir des parcs éoliens et le directeur de Groupe E Jacques Mauron affirme que cette énergie deviendra indispensable. Comment résoudre cette équation?

Ce n’est peut-être pas le moment d’évoquer le sujet. Mais peut-être qu’à l’avenir, des communes se montreront intéressées. N’oublions pas que, selon une récente étude, 70% de la population suisse est favorable à l’éolien. La Confédération doit prendre ses responsabilités et réfléchir à d’autres pistes afin d’assurer l’approvisionnement énergétique du pays. Je crois personnellement beaucoup au développement de l’énergie solaire. Son potentiel est gigantesque. L’acteur politique qui affirme aujourd’hui de manière ferme et absolue qu’il est pour ou contre les éoliennes ne fait pas son travail. Il doit proposer une vision plus large et se poser une question fondamentale: comment assurer un approvisionnement énergétique sûr à l’avenir durant toute l’année?

Faudrait-il retarder l’abandon du nucléaire?

La piste est étudiée par la Confédération. Mais elle ne doit pas cacher le fait qu’il est impératif de disposer d’une stratégie énergétique cohérente sur le long terme. Nous devons respecter la décision de sortir du nucléaire. Reste maintenant à définir quelles ressources énergétiques peuvent remplacer le nucléaire et les énergies polluantes.

Vous semblez résigné concernant les projets éoliens dans le canton…

Non, car l’éolien doit figurer dans le panier énergétique jusqu’à ce que l’équation entre la consommation et la production soit équilibrée. Actuellement, il y a énormément de variables inconnues. J’ai l’impression qu’on ne s’intéresse pas au sujet principal. Des polémiques se créent pour quelques dizaines de machines dans le canton qui ne suffiront pas à combler le déficit énergétique national.

Le fameux black-outhivernal, vous y pensez?

Oui, beaucoup. La Confédération affirme qu’il s’agit de sa première préoccupation au niveau des crises, avant même les pandémies. Et il est clair que notre consommation d’énergie est plus importante que notre production. Un tel événement serait catastrophique pour le pays. En cas de black-out, economiesuisse estime une perte de 2 à 4 milliards de francs par jour.

Êtes-vous prêt à encourager l’investissement privé dans les parcs éoliens, comme en Allemagne ou au Danemark?

L’idée est séduisante et nous savons que certaines personnes sont intéressées. Mais, une fois encore, ce n’est pas au canton d’intervenir entre des privés et un développeur. Le Gouvernement doit conserver une certaine neutralité. ■

Aucun conflit d’intérêts

Ces derniers mois, plusieurs opposants aux projets éoliens ont pointé du doigt des possibles conflits d’intérêts entre le Gouvernement et Groupe E. Membre du conseil d’administration de l’entreprise en question, Olivier Curty a notamment été mis en cause. A cette question, le vice-président du Gouvernement, qui milite pour que les membres de l’Exécutif sortent des conseils d’administration, répond sans hésitation que «jamais» une telle situation n’est survenue. «L’étude de planification a été réalisée sans consulter Groupe E et l’Etat n’a jamais attribué de mandat à cette société.»

Le conseiller d’Etat rappelle également que «les données récoltées par KohleNusbaumer n’ont pas influencé la désignation des périmètres éoliens». Pour rappel, les députés Antoinette de Weck et André Schoenenweid avaient, en mai dernier, mis en doute l’impartialité de l’étude de mesure de vent en raison de la présence des directeurs du développeur Greenwatt au sein du conseil d’administration du bureau d’ingénieurs chargé des études. «Je rappelle que, sans l’apport de KohleNusbaumer, les données déjà récoltées étaient suffisantes comme base de planification.» Il complète: «Il faut aussi signaler que les valeurs les plus faibles ont été retenues et dans tous les cas, les résultats doivent être confirmés par des mesures supplémentaires avec la pose des mats.»

Ces accusations, Olivier Curty les rejette avec ironie: «Ce qui est drôle, c’est que, d’un côté, on me reproche de n’être pas intervenu dans le débat pour soutenir le projet éolien, et de l’autre, de soutenir Groupe E. Le fait que je sois critiqué des deux côtés est peut-être la preuve que je me situe dans le juste.» VAC

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