La procédure de consultation n’a pas permis de sauver l’entreprise Erie-Electroverre à Romont. Le conseil d’administration a annoncé hier la fermeture définitive de l’usine.

VALENTIN CASTELLA

ÉCONOMIE. Plus connue à Romont sous le nom d’Erie-Electroverre, Epredia va définitivement fermer ses portes dans le courant de l’année. Hier, le conseil d’administration de l’entreprise, appartenant aux Japonais de PHC Holding Corporation, a annoncé la cessation d’activité. Une décision aux lourdes répercussions.

En effet, 67 collaborateurs seront licenciés progressivement, selon les impératifs du démantèlement et du maintien de la sécurité. Les premiers licenciements, une vingtaine, seront notifiés dès ce mois, puis de façon échelonnée jusqu’à la fin de l’année 2021. «Nous avons évoqué la situation ce matin (n.d.l.r.: lundi) aux collaborateurs, confirme le directeur du site Pierre Hemeryck. Même s’ils s’y attendaient, un sentiment de tristesse régnait.»

La société avait déjà annoncé la couleur fin mars en lan- çant une procédure de consultation. Les employés avaient jusqu’au 11 avril pour émettre leurs propositions, avec, comme objectif principal de sauver la production et donc l’emploi. Une mission impossible sans de futurs investissements, notamment pour la construction d’un four, élément central pour la fabrication de feuilles de verre servant de base aux lames de microscope.

Alternatives «pas viables»

«Un gros travail a été effectué de la part des employés, qui ont fourni un document de qualité», reprend le directeur. Selon Epredia, «les propositions avancées n’ont pas ouvert d’alternatives viables pour poursuivre les activités du site et ainsi préserver les emplois.»

Le canton et son directeur de l’Economie Olivier Curty ont également tenté de convaincre le groupe de modifier la décision de fermeture. «Cette discussion a eu lieu dans un esprit constructif et sur la base d’une proposition de soutien étatique, détaille-t-il. Malheureusement, cette intervention n’a pas abouti.»

En contact avec les employés ces dernières semaines, le secrétaire d’Unia Armand Jaquier ne cache pas sa déception: «Ce groupe se sépare d’une usine produisant un verre d’une extrême qualité. Je ne suis pas convaincu que cela soit une bonne stratégie.»

Plus de production

La baisse du chiffre d’affaires et des parts de marché, due à la pression des coûts, ont ainsi eu raison des activités de l’usine, qui ne produit plus depuis le 25 mars. «Le four devrait s’éteindre durant le mois de mai», poursuit Pierre Hemeryck. Au printemps 2022, tout devrait être terminé administrativement.

Epredia informe qu’elle discutera avec la représentation des employés d’un plan social, «afin d’atténuer les effets des licenciements». Mais Armand Jaquier estime que, «dans ces situations, il ne peut pas y avoir de bon plan social». La plupart des collaborateurs étant compétents dans un domaine bien précis, ils seront contraints d’effectuer une réinsertion professionnelle. «Beaucoup de personnes se retrouveront en difficulté.» Le conseiller d’Etat Olivier Curty espère que «certains membres du personnel aient des compétences intéressantes pour Kromatix», une entreprise récemment installée à Romont et spécialisée dans les panneaux photovoltaïques en verre coloré.

Un grand vide

En Glâne, l’abandon de l’usine laissera un grand vide, tant cette dernière était importante. «Plusieurs générations de Romontois y ont travaillé», explique Jean-Marie Chollet, ancien directeur technique et employé entre 1983 et 2018. Il poursuit: «Electroverre a été la première usine à s’implanter dans la région. Après la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses personnes ont été embauchées et ont ainsi pu nourrir leur famille. Les gens sont restés attachés à cette entreprise. Même si environ 50% des employés sont partis à Tetra Pak lors de son arrivée à Romont en 1976, en raison des meilleures conditions de travail.»

Reste que la verrerie a laissé une empreinte indélébile dans la région et dans les mémoires. En effet, nombre de Romontois ont assisté à la déconstruction du four, agendée tous les six ans. Une démolition, suivie d’une reconstruction était nécessaire pour poursuivre les activités – le coût total de l’opération se montait à environ 5 millions de francs. Ainsi, les écoliers et les habitants venaient assister au vidage du four, provoquant une coulée de 200 tonnes de verre. «La scène était spectaculaire, se souvient Jean-Marie Chollet. C’était comme si de la lave sortait de l’usine.»

Des morceaux de verre récupérés alors se retrouvent aujourd’hui dans les jardins et cimetières des alentours. Dans quelques années, il s’agira peut-être des derniers vestiges de ce fleuron de l’économie glânoise. ■

Que va devenir le site?

Maintenant que la question de la fermeture de l’usine est réglée, une autre interrogation survient. Il s’agit de l’avenir du site, qui traverse la route de Fribourg. Va-t-il être détruit ou le propriétaire parviendra-t-il à le vendre? A l’heure actuelle, «aucun plan» n’est établi selon le directeur Pierre Hemeryck. Seule certitude, une éventuelle transaction ne s’effectuera pas en un jour. En effet, un taux d’arsenic représentant un risque possible ou avéré pour la santé a été révélé en 2014 par le Service de l’environnement (SEn). Entre 1935 et 1995, quelque 6000 m2 ont été pollués par les poussières des cheminées de l’usine avant l’installation d’un système de filtration. Il s’agit des alentours du site de production et de l’ancienne décharge de l’usine, contenant des déchets de verre, de dolomie et de briques réfractaires enrichis en arsenic.

Selon Romano Dalla Piazza, chef du secteur sites pollués du SEn, un assainissement sera nécessaire pour «supprimer les atteintes à l’environnement». Une action indispensable si Epredia souhaite définitivement quitter Romont. «L’entreprise ne peut pas vendre le terrain sans disposer d’une autorisation du canton, qui acceptera une éventuelle transaction contre la garantie du financement des mesures nécessaires.»

Cela fait plusieurs années que le SEn s’active sur ce dossier. «En ce qui concerne la pollution des sols, nous possédons les informations nécessaires à l’assainissement du site, reprend Romano Dalla Piazza. Nous savons ce qu’il faut entreprendre. Reste maintenant à définir les aspects techniques et économiques.» A noter que, concernant la décharge, le SEn est actuellement en phase d’élaboration du projet d’assainissement. Et qui s’acquittera de la facture? «Le principe du pollueur-payeur s’applique. L’exploitant à l’origine de l’atteinte à l’environnement doit majoritairement contribuer au financement des mesures nécessaires.»

De son côté, Olivier Curty affirme qu’il s’agit d’un site «attractif qui sera mis en avant pour des futures implantations». VAC

Historique

1935. Edouard Borel fonde l’entreprise, qui commence ses activités dans les murs de l’ancienne centrale thermique de Romont. Elle est la première usine au monde à utiliser l’électricité comme énergie de fusion pour fabriquer des verres à vitres.

1944. Durant la Seconde Guerre mondiale, Electroverre est considérée comme un site d’importance nationale, comme en témoigne la présence du général Guisan durant le conflit. Des visites d’entreprises sont organisées pour découvrir cette industrie désormais spécialisée dans le verre mince.

1965. Electroverre se développe en construisant des silos et une passerelle traversant la route cantonale, pour le transit des matières premières. Les premiers indices de saturation du marché commencent toutefois à se profiler à l’horizon.

1970. L’entreprise se spécialise dans le verre flotté et subit la concurrence étrangère. Le chômage partiel est d’ailleurs décrété d’avril à septembre 1975.

1983. Les Américains d’Erie Scientific rachètent la société glânoise, baptisée Erie-Electroverre. D’importants investissements sont effectués pour la fabrication de lames de microscope.

1990. La décennie permet à l’entreprise de poursuivre ses activités, et même de devenir l’un des leaders mondiaux pour l’équipement dentaire et de laboratoire.

2006. La société passe en mains du groupe américain Thermo Fisher. Elle compte 115 employés en 2007.

2009. Première coupe importante: 24 postes sont supprimés. Des manifestations se déroulent devant l’usine.

2019. Basée à Tokyo, PHC Holding Corporation rachète Erie-Electroverre. L’entreprise poursuivra ses activités sous le nom d’Epredia. A ce momentlà, 73 personnes y travaillent et produisent des feuilles de verre servant de base aux lames de microscope.

2021. Le conseil d’administration d’Epredia annonce la fermeture de l’usine. Au total, 67 personnes sont licenciées. VAC

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C’est terminé pour Electroverre, 67 collaborateurs licenciés

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