Les citoyens de Vuisternens-devant-Romont ont refusé d’entrer en matière pour la création d’une zone éolienne. Retour sur une soirée mouvementée qui clôt un débat qui a divisé toute une commune durant plusieurs mois.

VALENTIN CASTELLA

ASSEMBLÉE. L’équipe de Suisse à l’Euro ou une assemblée communale? Pour certains, le choix est évident. Pour d’autres, cela dépend du contexte et de l’ordre du jour. Et lundi soir, celui-ci était plutôt alléchant au Bicubic de Romont. Le Conseil communal de Vuisternens-devant-Romont invitait en effet ses concitoyens à se prononcer sur les éoliennes. Précisément sur une entrée en matière ou non pour la création d’une zone éolienne sur le territoire. Enfin, après des mois de débats, de flyers anonymes et même d’attaques personnelles, le débat allait être posé sur la table. Sur le ring: l’Exécutif, la commission communale de l’énergie, Groupe E et l’association Paysage Libre Fribourg.

Pendant plus d’une heure et demie, plus de 420 personnes ont assisté à une passe d’armes entre les différents protagonistes. Certaines ont ensuite pris la parole avant de voter. Le résultat n’a souffert d’aucune contestation: les citoyens ont refusé une entrée en matière. La porte a même été fermée à double tour (366 voix contre, 44 pour). Les participants ont ainsi suivi l’avis de la commission communale de l’énergie, qui a conclu que «le risque encouru pour la commune est trop important par rapport aux bénéfices potentiels».

Sans surprise

Un résultat qui n’a surpris personne, tant la salle s’est montrée hostile à l’éolien durant toute la soirée. Invités par le Conseil communal à présenter les avantages de cette énergie, le directeur de Groupe E Jacques Mauron et la chargée d’affaires de Greenwatt Léonie Berset ont pu se rendre compte du dégât d’image que l’entreprise a subi ces derniers mois.

Jacques Mauron face à la population de Vuisternens-devant-Romont, c’était comme un végane venu exposer son régime alimentaire à une amicale de la bonne viande et de la grillade. En aparté, il a d’ailleurs confié qu’il ne se faisait aucune illusion sur le résultat du vote. Ce qui a surpris par contre, c’est la violence des réactions dans la salle. Notamment lorsqu’il a pointé du doigt les arguments des opposants: «Les gens ne veulent surtout pas d’éoliennes chez eux. Alors, ils sont prêts à croire n’importe quoi!» Une phrase conclue sous les huées.

Qui croire?

Cette soirée a symbolisé l’opposition entre pro et antiéoliens qui fait rage depuis plusieurs mois dans la commune. Quels arguments croire, lorsque deux personnes, se reposant théoriquement sur des documents officiels, exposent des visions totalement différentes? Jacques Mauron a affirmé par exemple qu’il fallait lancer des études pour vérifier le potentiel éolien dans la région. La députée Antoinette de Weck, de Paysage Libre Fribourg, a rétorqué que ce fameux potentiel était insuffisant et que «Vuisternens-devant-Romont n’a pas à être la poubelle de la politique énergétique de la Suisse».

Un participant a d’ailleurs pointé du doigt cette problématique. Spécialiste en énergie, il a demandé sur quels chiffres se basaient les films diffusés sur internet et relayés notamment par Paysage Libre Fribourg. Quelques minutes de discussion ont permis de constater que certaines données n’étaient pas les bonnes. «Il s’agit donc de mensonges et de manipulation», a rétorqué le citoyen, hué à son tour par une partie de la salle.

La bataille d’arguments n’a finalement eu aucune incidence sur le vote, tant les participants semblaient déjà certains de leur choix. Cela s’est d’ailleurs vérifié lorsque les citoyens ont pris la parole pour poser des questions. A ce moment-là, la tension est montée d’un cran, notamment lorsqu’un habitant a défendu le projet éolien. «Mettez-vous à côté de Monsieur Mauron», a crié l’un de ses voisins. Un autre a enchaîné, «stop, au suivant!»

Syndic de Vuisternens-devant-Romont, Jacques Dumas s’attendait à ce que l’ambiance ne soit pas des plus fraternelles. «J’imaginais même davantage d’agressivité. Heureusement, nous avons réussi à cadrer les choses.» Si tout le monde semblait au courant des arguments des uns et des autres, les questions des citoyens ont permis d’en apprendre davantage sur quelques détails. Notamment concernant la surface bétonnée nécessaire à l’installation d’une éolienne. «Cela représente l’équivalent de quatre villas», a répondu Léonie Berset. L’assemblée a également entendu que les lignes servant à transférer l’énergie seraient enterrées, et que les sites et la hauteur des machines n’étaient pas encore pas définis.

Le public a également questionné Groupe E sur les incidences des éoliennes sur les habitants, les animaux et la nature. Une interrogation qui a divisé les deux camps présents sur scène, qui ne sont pas parvenus à s’entendre. La plupart des citoyens, eux, sont repartis satisfaits. «Cette assemblée était souhaitée par la population, reprend Jacques Dumas. Même si on voit bien que les tensions sont encore vives, le sujet a pu être débattu.»

Fin de l’histoire?

En fin de soirée, le syndic a indiqué que l’Exécutif s’engageait à respecter la décision prise par l’assemblée. Jacques Mauron confirme également que Groupe E «suivra le rythme des communes». Le Conseil communal ne mettra ainsi pas à disposition un terrain susceptible d’accueillir un parc éolien. «Nous allons demander une modification du Plan directeur cantonal», poursuit Jacques Dumas.

Regrettant que le vote se soit déroulé avant les analyses et les mesures à mener sur le site, Serge Boschung, chef du Service de l’énergie, indique que «le Plan directeur cantonal n’est pas opposable et que le périmètre respecte les exigences de la Confédération». Il ajoute: «Berne et le canton ont affirmé qu’ils respecteraient les principes démocratiques et, dans ce sens, la position des communes. Si la population ne souhaite pas aller de l’avant, les Exécutifs n’ont aucune obligation de mettre en zone ces périmètres.» ■

Un prix Nobel indésirable

Afin d’alimenter le débat, Groupe E souhaitait la présence de Jacques Dubochet, prix Nobel de chimie en 2017. Le biophysicien avait accepté l’invitation de Jacques Mauron. «La commune n’a pas souhaité sa présence», a indiqué le directeur de Groupe E, regrettant que «la science ne puisse pas être entendue ce soir».

Le syndic Jacques Dumas s’explique: «L’idée était excellente. Mais pas dans le cadre d’une telle assemblée. Paysage Libre Fribourg et Groupe E ont été invités. Nous souhaitions des débats équilibrés. En acceptant sa venue, qui a été proposée seulement trois jours avant le jour J, les gens n’auraient pas compris et le Conseil communal de Vuisternens-devant-Romont aurait perdu sa crédibilité.»

VAC

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Vuisternens dit 366 fois «non» à la création d’un parc éolien

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