L’entreprise Sushi Mania à Vuadens connaît une trop forte croissance pour ses locaux actuels à l’Atlantiscenter.

Elle envisage la construction d’une nouvelle usine sur quelque 25 000 m2, avec 170 nouveaux emplois à la clé.

Mais ces trois parcelles agricoles doivent être mises en zone avant de pouvoir accueillir le projet baptisé Greenfield.

PHILIPPE HUWILER

VUADENS. Les sushis sont serrés comme des sardines… L’entreprise qui les fabrique à Vuadens est aujourd’hui victime de son succès. Et pourtant, il y a vingt ans, rien n’aurait présagé d’une telle destinée pour Sushi Mania.

Après la faillite de Sushi King en 2002, Marc Durst a immédiatement remis l’ouvrage sur le métier. «On a commencé à sortir la tête de l’eau en 2008», se souvient-il. A une croissance raisonnable succède une véritable sushimania, avec le rachat en 2017 par FFB (Fresh Food & Beverage), du groupe Migros. «Ce fut un soulagement. Avec cette reprise par l’un de mes plus gros clients, la pérennité de l’entreprise et des emplois est assurée.»

Au royaume du sushi

L’entreprise se décline aujourd’hui en cinquante points de vente (et de fabrication) dans les filiales Migros et Globus. A Vuadens, l’usine produit chaque jour 44 400 sushis, à cela s’ajoutent les 11 900 produits dans les grandes surfaces. Aujourd’hui, Sushi Mania emploie 258 personnes, dont 125 sur le site d’Atlantiscenter.

Quand on lui parle de success story, Marc Durst, toujours actionnaire minoritaire de son entreprise, a la réussite modeste, même s’il avoue avoir mis «son corps, son cœur et son âme» dans sa société. Ce Vaudois d’origine s’inscrit donc dans l’histoire comme le promoteur du sushi en Gruyère. «Ce fut une question d’opportunité. On n’avait pas beaucoup d’argent. On cherchait un lieu équipé ou abordable en termes de loyer», se rappelle le fondateur et directeur de Sushi Mania.

Aujourd’hui les 4500 m2 occupés à l’ancienne usine Guigoz ne suffisent plus à répondre à la demande, non seulement de sushi, mais aussi de poke bowls et de bien d’autres spécialités de la cuisine asiatique ou ethnique. Et Marc Durst d’expliquer par l’image: «Pendant des années, on a joué au Tetris (jeu électronique où l’on empile des formes différentes) dans cette usine. Je ne pensais pas que l’abondance était aussi compliquée à gérer. On a automatisé la ligne des poke bowls au début de l’année, qu’on a déjà dû agrandir deux fois depuis.»

Un déménagement s’impose, même s’il y a encore des surfaces à disposition dans le complexe d’Atlantiscenter. «On a fait une étude, mais ce serait trop compliqué de retaper et d’agrandir le site, tout en continuant notre production quotidienne. Difficile de fabriquer de la nourriture au milieu d’un chantier», illustre le directeur.

De gros investissements

C’est en 2017 qu’émerge l’idée d’une nouvelle usine, avec pour nom de code Greenfield. Des contacts sont pris avec la commune. «Nous avions encore des parcelles communales inscrites comme potentielle zone d’activité cantonale dans le Plan directeur régional, explique le syndic de Vuadens Noam Rey. Mais ces terres agricoles sont en partie des surfaces d’assolement et n’ont pas encore été mises en zone dans le Plan d’aménagement local. Cet endroit fait sens, entre Bumotec et Grisoni, on sait que tôt ou tard toute cette zone va être bâtie pour des entreprises.»

Sushi Mania lorgne sur trois parcelles d’une surface totale de 25 000 m2. La société souhaite y construire un bâtiment sur 9600 m2 sur deux niveaux, pour un investissement de plusieurs dizaines de millions de francs. A la clé, la création d’environ 170 nouveaux emplois, pour atteindre 300 collaborateurs à Vuadens. «Dans ce projet, on prévoit le double de la surface dont on a besoin actuellement pour assurer notre croissance. La seule limite est le nombre de consommateurs potentiels. Mais on peut encore doubler ou tripler notre chiffre d’affaires. Surtout si on amène des nouvelles idées, des nouvelles tendances, tout en restant dans des produits de qualité», précise Marc Durst.

Pour le personnel

Mais le parcours est encore très long et semé d’écueils, à commencer par le dézonage des surfaces d’assolement (lire ci-dessous). Le directeur de Sushi Mania reste pourtant convaincu du bien-fondé d’une extension dans le village. «J’ai dû commencer par convaincre les trois membres du FFB de mon conseil d’administration (sur quatre). Cela a pris du temps, mais maintenant ils sont convaincus qu’il faut rester en Gruyère. Sushi Mania c’est d’abord le savoir-faire des collaborateurs: 98% des gens qui travaillent à Vuadens habitent dans la région.»

Quoi qu’il en soit, Sushi Mania quittera ses locaux actuels au plus tard en 2028, à l’échéance d’un bail qui a déjà été prolongé. Reste à savoir si au royaume du sushi, Vuadens restera couronné. ■

Les embûches d’une mise en zone

PLANIFICATION. L’aménagement du territoire n’est pas chose aisée. Le problème majeur de cette zone convoitée à Vuadens par Sushi Mania réside dans le fait qu’elle se situe en partie sur des surfaces d’assolement. Mais paradoxe, ces parcelles peuvent aussi être affectées, dans le Plan directeur régional (PDR), en zone d’activité.

Entre écologie et économie, la bataille s’annonce serrée surtout après le précédent de Bumotec en 2014 (aujourd’hui Starrag) dans la même zone. L’Office du développement territorial avait déposé un recours contre la modification du Plan d’aménagement local (PAL), avant de le retirer. Mais à l’inverse et pour les mêmes raisons, Berne avait sonné le glas des projets de l’entreprise pharmaceutique Amgen à Galmiz en 2006 et du distributeur de meubles Ikea à Bussy en 2013.

Alternatives ailleurs

Face aux lois encore resserrées depuis 2014 en matière d’aménagement du territoire, les bons terrains agricoles pourraient bien primer sur l’activité commerciale et industrielle, dans ce dossier. «On ne sait pas aujourd’hui comment les offices fédéraux concernés se positionneraient et la marge de manœuvre du canton reste limitée», relève Samuel Clerc, directeur adjoint de la Promotion économique du canton.

Plusieurs alternatives ont été proposées au fondateur de Sushi Mania. «On nous a parlé d’un terrain à côté d’Elsa à Estavayer et d’une usine à Chiètres. Le site d’AgriCo à St-Aubin a aussi été évoqué par Migros et par la Promotion économique. Mais si le personnel qui réside en Gruyère doit faire deux heures de trajet par jour, il ne va pas suivre», argumente Marc Durst. Et Samuel Clerc d’ajouter: «Il y a une raréfaction des terrains que nous pouvons proposer, surtout en Gruyère. L’objectif de la Promotion économique n’est pas d’être local ou régional, mais cantonal. On doit aussi tenir compte des besoins et de la volonté de l’entreprise.»

De son côté, le Conseil d’Etat se cantonne a un rôle d’informateur pour que Sushi Mania puisse se positionner en toute connaissance de cause. «Si l’entreprise opte pour l’option Vuadens, elle sait dès lors qu’elle devra déposer un projet exemplaire, justifiant sa réalisation sur des surfaces d’assolement», affirme le directeur de l’économie, Olivier Curty.

La région défend ce projet, comme le relève le préfet de la Gruyère Vincent Bosson. «Nous soutenons la démarche de l’entreprise et de la commune. Mais la région n’a que peu de marge de manœuvre sur ces surfaces d’assolement. Il serait bien de pouvoir réviser l’inventaire cantonal en la matière, mais ce n’est pas encore d’actualité.» En attendant, la proposition d’extension devrait être validée dans le PDR qui sera soumis à l’Association régionale de la Gruyère le 22 décembre, précise le préfet.

«Les sushis sont à Vuadens ce que l’horlogerie est à l’Arc jurassien. On ne peut pas tout délocaliser», clame le syndic Noam Rey qui promet de faire de ce dossier une priorité politique. PH

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