Alors qu’il n’avait jamais mis les pieds sur une scène, Bernard Magnin se retrouve sur celle de Vidy, pour raconter sa propre histoire.

Ce Gruérien de 79 ans participe à la nouvelle création de Massimo Furlan et Claire de Ribaupierre.

La pièce, Avecl’animal, évoque notre relation à la nature, à travers le parcours d’un chasseur et d’un pêcheur.

ÉRIC BULLIARD

THÉÂTRE. A 79 ans, il fait ses débuts sur scène. Et pas n’importe laquelle: celle de Vidy, à Lausanne, dont la réputation dans le théâtre contemporain dépasse la Suisse romande. Jusqu’au 12 mars, le Gruérien Bernard Magnin y est l’un des deux protagonistes d’Avec l’animal, nouvelle création de Massimo Furlan et Claire de Ribaupierre.

«Au début, je me suis dit que je m’enfilais dans une drôle de galère», sourit Bernard Magnin. La représentation (devant une salle quasi pleine) vient de s’achever, les spectateurs partagent une soupe de chalet avec les acteurs, sur le plateau. La famille et les amis venus de Gruyère se pressent autour du néocomédien. Félicitations chaleureuses et fierté légitime. «A la prochaine fête de famille, tu pourras faire l’animation!»

Cette drôle d’aventure a commencé par un hasard: metteurs en scène et dramaturges vaudois, Massimo Furlan et Claire de Ribaupierre possèdent un chalet au-dessus de Grandvillard. Près de celui de Bernard Magnin, qui habite Morlon, mais a gardé un pied à terre dans le village où il a grandi.

Entre chasseurs

Ils se sont rencontrés comme ça, en voisins. «Un jour, Massimo me demande si je connais des chasseurs de la région, parce qu’il aimerait bien discuter avec eux.» Bernard Magnin, chasseur depuis plus de cinquante ans, réunit Eric Gobet, le père Hubert Niclasse (disparu en mai 2021) et Albert Bossy. Quelques jours après cette soirée, le metteur en scène le recontacte: «Il me dit qu’il aimerait monter une pièce avec un chasseur et un pêcheur et qu’il a pensé à moi.»

Bernard Magnin commence par hésiter, lui qui n’a «jamais fait de théâtre, même pas enfant». Sa famille l’encourage, Massimo Furlan et Claire de Ribaupierre trouvent les mots pour le persuader. «Ils sont patients, ils nous rassurent, ce sont vraiment des gens super sympathiques.» Le feeling passe aussi très vite avec Serge Bregnard, pêcheur neuchâtelois, qu’il rencontre à cette occasion et avec qui il partage la scène.

Trintsâbyo et Lyoba

Attablé derrière les ingrédients de la soupe qui mijote dans son chaudron (selon la recette de Babette, son épouse, précise-t-il), Bernard Magnin commence par raconter ses souvenirs de garçon de chalet. Nous voici à l’été 1952, sur l’alpage de Tzava, au-dessus de Grandvillard (lire ci-dessous). Etrange impression que d’entendre le fameux «théâtre au bord de l’eau» résonner d’expressions bien gruériennes («tout pour un coup…») et de phrases en patois. C’est sans doute la première fois que, sur cette scène, un comédien parle de trintsâbyo avant d’entonner le Ranz des vaches…

«Un énorme plaisir»

Après de nombreux entretiens et discussions, deux semaines de répétition ont permis d’affiner le projet. Non sans quelques difficultés: «A 79 ans, le texte ne rentre plus comme à 30…» Mais, au final, «depuis cette semaine, je prends un énorme plaisir», assure Bernard Magnin. Qui précise que «toute l’équipe de Vidy est super sympa, il y a une ambiance très agréable».

Comme Les Italiens d’un précédent projet de Massimo Furlan et Claire de Ribaupierre, les deux comédiens racontent leur propre histoire avec naturel, tels qu’en euxmêmes. Avec l’animal brille par sa sincérité, son authenticité, sa fragilité, aussi. Pour Bernard Magnin, qui a effectué sa carrière professionnelle dans le domaine de l’électricité, c’est l’occasion de partager son amour de la nature, de la chasse, des traditions. Tout en découvrant le monde du théâtre, avec, bientôt, ses tournées: des dates sont déjà prévues en juin à Besançon, ainsi qu’au festival Far de Nyon, en août. Et ce n’est sans doute qu’un début. ■

www.vidy.ch

«C’est un vrai conteur»

Au départ, une histoire de voisinage. Massimo Furlan et Claire de Ribaupierre ont «la chance incroyable d’avoir une maison au milieu des pâturages, ici, dans l’Intyamon», raconte le metteur en scène et dramaturge vaudois. «A chaque fois que nous croisions Bernard Magnin, il nous demandait si tout allait bien et il était heureux que ce soit le cas.» «Nous avions déjà ce projet en tête quand nous avons appris qu’il était chasseur, enchaîne Claire de Ribaupierre. Il nous parlait des animaux, du lynx, du renard et nous a présenté d’autres chasseurs de la région.»

Très vite, l’idée de l’inviter sur scène est apparue comme «une évidence, parce que c’est un vrai conteur, avec une mémoire extraordinaire de ce lieu. Il était anxieux au départ, mais il nous a fait confiance.» Demander à des amateurs de raconter leur propre histoire n’est pas une nouveauté pour les deux créateurs, qui avaient monté de cette manière un spectacle à succès, Les Italiens.

«C’est un geste théâtral, revendique Massimo Furlan. Il fait partie d’une recherche sur qui porte la parole en scène. Un comédien n’arriverait pas à aller où est Bernard. Cette mémoire est devant nous, en direct.» Et Claire de Ribaupierre d’ajouter: «En tant que spectateur, on est atteint différemment quand une personne raconte sa propre histoire avec son accent, son rythme, son corps… A la fin, les gens viennent discuter de manière très émotionnelle, ce qui ne se fait pas avec des acteurs.»

Avec l’animal s’est construit sur «des heures et des heures d’entretiens» avec les deux comédiens et d’autres intervenants, ainsi que sur de nombreuses lectures. Le travail au plateau a permis ensuite d’affiner, de corriger, de soigner le rythme, les gestes… En insistant sur le fait que les deux hommes devaient «rester eux-mêmes». Le Neuchâtelois Serge Bregnard non plus n’était jamais monté sur scène. Les dramaturges l’ont rencontré parce qu’il est un ami d’un ami. «Leurs parcours sont différents, mais des liens se tissent.»

Pas question de «moraliser»

Même s’il aborde un sujet souvent polémique, il n’était pas question de «moraliser», souligne Massimo Furlan. L’idée n’est pas de se prononcer pour ou contre la chasse et la pêche, mais de relater une expérience, intime. Avec l’animal constitue le deuxième volet d’une trilogie sur notre relation à la nature, commencée avec Dans la forêt et qui se conclura avec une création sur la question de la terre. «On pense savoir plein de choses sur les animaux, mais nous avons souvent un rapport esthétique et infantile avec eux. Quand on parle avec Bernard, on se rend compte que, en réalité, nous en savons très peu…» EB

«Je me sens libre et vivant»

Il raconte sa montée à l’alpage, à neuf ans, avec quatre veaux exténués qu’il fallait bien faire avancer. Il décrit la vie de garçon de chalet, au temps où «on dormait tout habillé, on enlevait juste les souliers». Ces heures où l’«on épand la beuse dans les pâturages», ces aprèsmidi passés à observer les animaux, sur «la plus belle montagne du monde», Tzava, au-dessus de Grandvillard.

Sans cliché ni tabou

Sur la scène de Vidy, Bernard Magnin remue ses souvenirs. Plongé dans les bruits et les images de la nature, il raconte comment, à cette époque, est née sa fascination pour la chasse. Avec l’animal trouve les mots pour évoquer cette activité de l’intérieur, sans cliché ni tabou. «La chasse, c’est penser comme un animal, c’est faire partie d’un territoire, d’une histoire qui nous relie aux générations précédentes.» Dans un moment très fort, lui qui a «tiré quatre fois en cinq ans» raconte le jour où il a abattu un cerf «exceptionnel». «Au début, nous n’étions pas sûrs de parler de la mort de l’animal, explique Bernard Magnin. Mais finalement, ça paraît naturel.»

La pêche en Alaska

En parallèle, Serge Bregnard évoque, lui, ses débuts de pêcheur dans l’Areuse, la naissance d’une passion qu’il a assouvie dans nos régions comme en Alaska. Les deux hommes dialoguent peu, leurs récits alternent en se complétant plutôt qu’en se répondant. Mais des échos résonnent entre ces deux expériences de vie. En particulier dans cette relation à la nature, l’équilibre qu’elle procure. «J’ai travaillé quarante-cinq ans comme éducateur, avec des adolescents en difficulté, raconte Serge Bregnard. Sans la pêche et les champignons, je n’aurais pas tenu.»

Tous deux s’accordent aussi sur une évolution. Serge Bregnard a vu des cours d’eau pollués aux phosphates, nitrates, pesticides… Bernard Magnin regrette la disparition des haies vives, les hirondelles qu’on n’aperçoit quasiment plus. Sur l’alpage de son enfance, les marmottes ont presque disparu. N’empêche qu’il y retourne toujours: «Làhaut, je me sens libre et vivant.» EB

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Il porte sur scène ses souvenirs de bouébo et de chasseur

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