Le pianiste de jazz Florian Favre revisite quelques classiques de la région, comme Le vieux chalet et le Ranz des vaches. En équilibre entre respect et liberté, son disque porte une réflexion sur l’identité et sa transmission.

ÉRIC BULLIARD

MUSIQUE. Ces airs, il les connaît depuis toujours. «Dans ma famille, à chaque fête, ça chante énormément. Ces chansons m’ont bercé, mais je ne savais pas que faire avec elles.» Le pianiste fribourgeois Florian Favre a fini par trouver: il vient de sortir un album, intitulé Idantitâ, qui comprend des classiques régionaux tels que le Ranz des vaches, Le vieux chalet, Adyu mon bi payi ou encore Nouthra Dona di Maortsè, ainsi que des compositions personnelles.

Il y a quelques années encore, l’idée d’enregistrer ces morceaux de patrimoine ne l’aurait pas effleuré. «Le thème de l’identité m’a toujours intéressé. Mais en suivant des études de jazz, on se dirige vers d’autres folklores: je me demandais comment, en tant que Suisse, m’insérer dans une tradition afro-américaine.»

Deux impulsions l’ont ramené vers celle de nos régions. Tout d’abord la Fête des vignerons, à l’été 2019: Florian Favre participe à la Journée cantonale fribourgeoise, en jouant sur un radeau tavillonné posé sur le lac Léman. «J’avais préparé deux ou trois pièces du folklore et l’image était tellement poétique que j’ai décidé de tourner ensuite un clip sur le lac de la Gruyère.» La réalisation, financée par Fribourgissima Image Fribourg, s’est déroulée dans l’élan de la Fête, en octobre 2019.

La seconde impulsion est venue de la pandémie: elle pousse le musicien et compositeur à revenir à Fribourg, lui qui vivait à Zurich. En s’installant à deux pas de chez ses parents, il retrouve un paysage familier. Et, naturellement, se retourne vers son passé et ses racines.

Tubes et nostalgie

Puisque les concerts se sont arrêtés, il a également du temps pour réfléchir et revisiter son identité musicale. Pour s’interroger sur le fait que «beaucoup de musiciens, dans le monde, dé- fendent leur folklore», à l’image des Cubains, par exemple. Une idée moins familière en Suisse.

Au final, Idantitâ réunit douze titres, dont sept classiques fribourgeois. «J’ai fait le choix en fouillant dans ma mémoire d’enfant, sourit Florian Favre. La montagne, de l’abbé Bovet, par exemple, était toujours chantée en famille et je la trouvais très belle.» Ces morceaux sont en quelque sorte «les tubes» de notre patrimoine. «Souvent, ce sont des chansons très nostalgiques. Il me semblait donc important de reprendre aussi La fanfare du printemps, qui est plus légère.»

Avec ce travail en profondeur, le pianiste avoue s’être «mieux rendu compte de la beauté, de la puissance de ces mélodies. On peut faire plein de choses avec elles!» Dans la discussion revient souvent le verbe «s’amuser»: la musique, à l’entendre, reste un plaisir, un jeu, qui n’empêche pas le respect.

Tout le disque avance ainsi en un équilibre épatant. «La mélodie doit être reconnaissable, même si je m’amuse à la cacher un peu et à tester des possibilités harmoniques, rythmiques…» Souvent, au début d’une nouvelle plage du disque, il faut quelques secondes avant de reconnaître l’air traditionnel. Avec un sourire et une inévitable émotion.

«Je l’ai dans ma peau»

Aux côtés de ces classiques fribourgeois, Florian Favre a enregistré des compositions personnelles, toujours sur le thème de l’identité. Don’t burn the witch vient d’une «envie de se battre contre l’esprit de clocher et le refus de la différence». Avec Our cow-boy, il trouvait «drôle d’évoquer le gardien de génisses en cowboy. Le terme renvoie à une image de Far West, très exotique, mais ils font le même travail.» Et The Dzodzet lui a permis de «rigoler» de luimême.

Le disque se conclut avec I’ve got you under my skin, de Cole Porter. «Une façon de déclarer mon amour à cette identité, de dire que je l’ai dans ma peau.» Pour l’enregistrement, à Berlin, là où se trouve son label Traumton Records, Florian Favre a usé de la technique du «piano préparé»: les percussions que l’on entend dans Nouthra Dona di Maortsè, par exemple, viennent d’une boîte de trombones collée sur un dictionnaire et installée dans l’instrument. «C’est aussi une manière de désacraliser le piano.» De jouer avec lui, dans tous les sens du terme. ■

Florian Favre, Idantitâ, Traumton Records. Disponible sur www.florianfavre.com

Des concerts et des envies

Désormais, Florian Favre entend porter sur scène ce disque, avec ses versions revisitées du patrimoine choral et musical fribourgeois. Dans la région, deux concerts sont prévus à Bulle, à Trace-Ecart, les 18 et 19 février. La tournée comprend aussi une date à La Spirale le 12 mars et une autre au Cully Jazz Festival, le 9 avril. Et la suite? Le pianiste parle déjà de déclinaisons, d’introduire un côté clubbing, électro, dans ce folklore, imaginant volontiers «faire danser les gens sur Lyoba». Il songe encore à partager ces traditions avec celles d’autres régions, pourquoi pas en y incluant du oud ou en invitant une chanteuse indienne à entonner le Ranzdesvaches. «Le but est de proposer autre chose, de les recycler pour faire vivre ces traditions.» Ce qui reste une manière de rendre hommage et, donc, de les respecter. EB

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