Lors du procès inculpant d’assassinat une Gruérienne de 28 ans, le Ministère public a requis une peine privative de liberté à vie. La défense accuse le père de l’enfant. Une hypothèse jugée «immonde» par les parties plaignantes.

VALENTIN CASTELLA

JUSTICE. «J’ai beaucoup hésité. Et puis j’ai pensé à cette petite fille. Je l’ai imaginée être étouffée pendant que la prévenue la regardait mourir. Pour ces raisons, je requiers une peine privative de liberté à vie.» Les mots du procureur Raphaël Bourquin ont sonné dans une salle du Tribunal consciente que la dernière journée de ce procès serait décisive pour l’avenir de la prévenue.

Cette dernière est accusée d’assassinat sur la fillette de Vuadens, âgée de deux ans et demi en novembre 2018, au moment des faits. Cette nuit-là, elle s’était retrouvée seule avec la petite jusqu’à 3 h 15.

Mercredi, le représentant du Ministère public a énuméré les arguments qui prouveraient la culpabilité de la Gruérienne de 28 ans, décrite par le procureur et les parties plaignantes comme froide, méprisante et dénuée d’empathie. «Machiavélique, elle a entretenu une relation sexuelle avec mon client deux heures après avoir assassiné sa fille», a dépeint Marlène Jacquey, avocate du père.

Premier argument: les traces d’ADN de la prévenue retrouvées sur des objets de la victime, alors qu’elle avait déclaré n’être jamais entrée dans sa chambre. Avocat de la défense, Me David Aïoutz a rétorqué que, selon les experts entendus mardi, «il est impossible d’exclure que l’intégralité de l’ADN de l’accusée soit des traces dites de transfert». Le père aurait pu amener l’ADN de son ancienne compagne dans la chambre.»

Une mise en scène?

La deuxième preuve du Ministère public provient d’une augmentation d’altitude observée sur le téléphone portable de la Gruérienne à 0 h 58. Il a été décrit que seule la petite dormait à l’étage. Une même observation a été enregistrée le lendemain, quelques minutes avant que le père ne découvre le corps. «Elle est remontée dans sa chambre pour vérifier sa mise en scène, a déclaré Me Marlène Jacquey.»

Réponse de Me David Aïoutz, qui définit l’accusée comme gentille et à l’écoute: «Cette application a “bugué”. Cela a été établi par une étude.» Argument rejeté par le procureur.

Ce dernier a également dévoilé que, lors d’une audition, la prévenue a répondu «je ne sais pas quoi vous répondre» lorsque la police lui demandait si elle était coupable. Il note aussi que ses déclarations ont évolué. Les premiers jours, elle a affirmé que son compagnon aurait été incapable d’assassiner sa fille, avant de finalement l’accuser.

Me Isabelle Théron, avocate de la mère de l’enfant, fait le même constat. Au départ, l’accusée affirmait avoir dormi profondément jusqu’à 3 h. Alors qu’elle avait répondu à un message sur son téléphone.

Raphaël Bourquin a aussi fait part au Tribunal que la prévenue avait effectué d’étonnantes recherches sur internet quelques mois avant le drame, telles que «je ne supporte pas l’enfant de mon conjoint». Me Jacquey a repris: «Le mobile est futile. La fille de son compagnon était un obstacle. Elle le voulait pour elle toute seule.»

La défense accuse le père

Me Christian Delaloye, deuxième défenseur de l’accusée, s’est insurgé que la piste du père, décrit comme caractériel et menteur, ait été écartée rapidement. Selon lui, le père aurait commis le crime après la relation sexuelle. Ce qui expliquerait le mélange des traces ADN et de liquide séminal retrouvées sur le corps de la petite. Le drame aurait eu lieu entre 3 h 30 et 8 h, lorsque la prévenue dormait. «C’est faux», a répliqué le procureur. Me David Aïoutz a rebondi en détaillant qu’aucun ADN de l’accusée n’a été retrouvé sous les ongles de la petite. Au contraire de celui du père.

Des hypothèses balayées par le procureur et les plaignants. «La prévenue a assuré n’avoir rien entendu, alors que des pleurs et des cris ont dû résonner dans la chambre», explique Me Jacquey. Il a été soutenu par le Ministère public: «Le papa ne s’est jamais retrouvé seul avec sa petite cette nuitlà. Il a même essayé de reconstituer la scène de la chute de son enfant, lorsqu’il croyait qu’elle était tombée du lit. Pourquoi un assassin reconstituerait-il la scène du crime? Il n’est pas coupable. La prévenue n’ose pas avouer ce qu’elle a fait, de peur de faire du mal à sa famille», a conclu le procureur.

Impassible durant trois jours et prônant l’acquittement, la Gruérienne a craqué lorsqu’elle a lu un texte en guise de derniers mots: «Cela fait longtemps que j’attends ce jour pour être écoutée. Je suis innocente. Cela fait plus de trois ans que je vis l’enfer. Je suis sincèrement désolée pour la maman. Elle restera confinée dans le mensonge du père.» Le verdict sera prononcé le 13 avril. ■

Les experts livrent leurs analyses

Mardi, quatre experts ont évoqué les traces d’ADN retrouvées sur le corps et les habits de la victime, ainsi que les nombreuses ecchymoses observées quelques heures après son décès.

Selon Tony Fracasso, responsable de l’équipe du Centre universitaire romand de médecine légale, 30 zones d’impact ont été observées sur le corps de l’enfant. «Ce qui ne signifie pas qu’elle ait reçu 30 coups. L’auteur a pu en donner davantage.» La tête de la fillette a été particulièrement touchée, avec 22 zones d’impact. «Il s’agit d’une agression brutale.» L’avocate de la maman Isabelle Théron a alors demandé: «A-t-elle souffert?» Le scientifique a acquiescé: «Elle a eu mal à chaque fois qu’elle a reçu un coup.»

«Elle était consciente»

Après avoir été frappée, vraisemblablement par les mains de l’auteur du crime, la victime a été asphyxiée. «A ce momentlà, elle était consciente, car on a observé des signes de lutte», poursuit Tony Fracasso. Il évoque pour preuve une mèche de ses cheveux retrouvée dans sa bouche. «Certainement qu’elle a été arrachée lorsque la victime a tenté de se défendre.»

Médecin légiste à l’Unité romande de médecine forensique, Emilienne Descloux a expliqué qu’il a fallu plusieurs minutes à l’auteur du crime pour tuer la petite. Son collègue Tony Fracasso a complété: «Si elle n’avait pas été asphyxiée, elle n’aurait probablement eu aucune séquelle physique par la suite.»

L’ADN de la prévenue a été retrouvé sur le pull de la victime, tout comme celui de son père, qui a découvert le corps le lendemain matin. Vincent Castella, responsable de l’Unité de génétique forensique de Lausanne, est formel: l’ADN de l’accusée aurait pu se retrouver à cet endroit même si elle n’était pas entrée dans la chambre de la malheureuse. «Si des personnes vivent sous le même toit, on s’attend à observer des transferts directs et indirects d’ADN.» VAC

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Le Ministère public requiert la prison à vie pour l’accusée

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