Un Bullois de 55 ans est accusé de meurtre pour avoir empoigné, frappé et secoué son épouse en 2019, lui causant des lésions mortelles.

La défense demande l’acquittement. Elle estime que le syndrome de l’adulte secoué, cause probable de la mort, étant quasiment inconnu, l’accusé ne pouvait avoir conscience des risques.

Le tribunal se penche dès aujourd’hui sur ce drame et sur une affaire, plus ancienne, d’actes d’ordre sexuel avec une fillette.

XAVIER SCHALLER

FAIT DIVERS. Le 14 septembre 2019, à 23 h 35, la police découvre une femme inconsciente dans son appartement, proche de la tour des Trois-Trèfles à Bulle. Malgré l’intervention des ambulanciers, la femme, âgée de 41 ans et originaire du Brésil, décède sur place peu après. C’est son mari, présent au moment des faits, qui a donné l’alerte. Ce Suisse de 52 ans est arrêté sur-lechamp. Son procès pour meurtre s’ouvre aujourd’hui devant le Tribunal pénal de la Gruyère, qui siège dans la salle Covid à Granges-Paccot.

L’autopsie a montré de nombreuses lésions traumatiques aiguës, dont l’association est «compatible et évocatrice d’un traumatisme par secousses». Même si la cause du décès «n’a pas été établie avec certitude», selon le rapport médicolégal, elle pourrait être attribuée à un syndrome de l’adulte secoué. Mais dans ce genre de cas, les lésions du système nerveux central «ne sont objectivables qu’après un délai de survie d’au moins trois heures».

Une journée bien arrosée

Selon l’acte d’accusation, l’imprégnation éthylique de la victime au moment du décès (2,55‰ dans le sang) «a pu jouer un rôle dans l’enchaînement fatal, en diminuant les réflexes protecteurs (notamment le tonus musculaire) et ainsi aggraver les conséquences du traumatisme». Au moment du drame, l’accusé était presque aussi soûl que la victime, avec un taux d’alcool estimé entre 1,43 et 2,17‰.

Le matin du samedi 14 septembre, le couple boit «quelques bières» dans un établissement bullois. Après le dîner, il sort pour «acheter des bières» et, peu avant 15 h, la victime se rend seule à un food truck au centre-ville. Elle y consomme «de la bière», alors que son mari est rentré boire «quelques bières». Il la rejoint en fin de journée, chacun boit «une bière», puis il rentre seul au domicile conjugal, où il consomme «encore de la bière».

Pendant ce temps, la victime entretient «une relation sexuelle tarifée» dans un immeuble abandonné. Peu avant 19 h, ne voyant pas rentrer son épouse à l’heure prévue, le mari l’appelle et se fâche. Ils échangent également des messages écrits et vocaux, avant qu’elle ne rentre finalement, environ un quart d’heure plus tard. Une dispute éclate alors, notamment au sujet de la ponctualité de la victime. Cette dernière boit ensuite «plusieurs bières», son mari «une bière», et elle repart dans un établissement public du quartier où, dès 21 h, elle commande «plusieurs verres de bière», qu’elle ne boit pas entièrement, précise l’acte d’accusation.

Quand elle rentre peu après 22 h 45, «fortement alcoolisée», une violente dispute éclate. Les voisins entendent «des bruits sourds, comme des coups ou des claquements de porte, ainsi que des éclats de voix». Ce qui n’est pas une première, puisque entre le 6 janvier 2018 et le jour du meurtre présumé, la police est intervenue à quatre reprises au domicile du couple pour des violentes disputes – dont une fois avec des voies de fait auxquelles l’épouse n’avait pas voulu donner suite.

Ce soir-là, l’accusé s’en prend physiquement et violemment à son épouse. Dans la chambre conjugale, selon le Ministère public, il l’empoigne, la frappe, la secoue «à un nombre indéterminé de reprises». Le mari regagne ensuite le salon, la laissant inanimée entre le lit et le mur.

A ses dires, quand il revient dans la chambre, il entreprend de la réanimer et, à 23 h 23, appelle le Centre d’engagement et d’alarmes de la police. «D’une voix paniquée et en pleurs», il affirme alors, à quatre reprises, que son épouse est morte. Six minutes plus tard, un voisin appelle aussi le Centre, signalant la dispute et le fait qu’un homme appelle au secours.

Versions contradictoires

Immédiatement placé en détention, l’homme est auditionné cinq fois par la police, deux fois par le Ministère public et une reconstitution est organisée. Sa version des faits varie constamment. Il confirme d’abord la bagarre, affirme ensuite ne se souvenir de rien, avant d’expliquer que la victime a tenté de l’agresser avec un couteau – qui a été retrouvé dans la chambre – et qu’il est parvenu à la désarmer. Tout en contestant l’avoir frappée et secouée.

Il suggère ensuite qu’elle a pris un médicament qui aurait causé le décès – hypothèse contredite par l’enquête. Enfin, son épouse se serait blessée à la tête avant leur dispute.

Le Ministère public s’en tient à sa version et l’accuse de meurtre, subsidiairement d’homicide par négligence, et lésions corporelles graves (lire ci-dessous). Il devrait également répondre de l’accusation d’actes d’ordre sexuel avec un enfant, pour une affaire datant d’une douzaine d’années (lire encadré). ■

La défense veut l’acquittement

«L’affaire, de prime abord, paraît assez simple. En réalité, elle ne l’est pas», estime Elias Moussa, avocat de la défense. La cause de décès la plus probable est le syndrome d’adulte secoué. «Ce syndrome est non seulement très rare, mais aussi très peu connu, particulièrement dans le grand public. C’est là le point crucial: mon client, au moment des faits, ne savait pas qu’il pouvait causer la mort d’une personne adulte avec des secousses.»

Dès lors, l’avocat ne comprend pas comment le Ministère public arrive à une accusation de meurtre. «Car cela implique une volonté de tuer.» Et aucun motif n’existe selon lui. «Il s’agit de l’accident tragique d’une violence conjugale qui a dérapé.» Même l’homicide par négligence ne peut être retenu à ses yeux, car il implique aussi que l’accusé connaissait le risque de tuer son épouse en la secouant. Il demande donc l’acquittement.

Le procureur Marc Bugnon voit, évidemment, les choses différemment. Il se réfère aux lésions internes et externes, énumérées dans le rapport médical: «Ce qu’on peut déduire de cela et de ce que les voisins ont entendu, c’est que la victime a subi une série de violences graves, quasiment toutes situées à la tête. Personne ne prétend que l’accusé a décidé froidement d’éliminer son épouse et qu’il a tout mis en œuvre pour la tuer en la secouant. Mais le Ministère public part du principe que lorsqu’on s’en prend de cette manière-là à la tête d’une personne, on accepte le risque de la tuer.»

Les lésions externes n’ont pas été elles-mêmes mortelles. «Mais est-ce si important? Dans la plupart des cas de multitraumatismes, on ne sait pas dire quel traumatisme a entraîné la mort. L’essentiel, c’est la violence infligée.» XS

Actes d’ordre sexuel sur une fillette

Le Bullois est également accusé d’actes d’ordre sexuel avec des enfants, pour un fait survenu entre 2008 et 2009. Invité chez un ami de longue date, avec ses deux filles, il aurait décidé, comme d’autres, de rester dormir parce que la soirée avait été arrosée. Durant la nuit, il se serait introduit dans la chambre où dormaient cinq enfants et aurait commencé à masturber une fillette de 11 ans ou 12 ans. Pris de court quand celle-ci s’était réveillée, il aurait quitté la chambre, mais serait revenu quelques instants plus tard, en s’avançant à quatre pattes vers le lit, et lui aurait léché le sexe durant quelques secondes. Terrorisée, la fillette l’aurait fait fuir en lui donnant des coups de pied sur la tête. «Quelque temps après les faits, elle a commencé à souffrir de phobie scolaire, qui s’est ultérieurement mue en phobie sociale, ayant des répercussions graves sur sa vie quotidienne», indique l’acte d’accusation du Ministère public. La victime s’est confiée à deux amis peu après les faits. «Puis, au fil du temps, elle s’est également délivrée auprès de ses deux partenaires, ainsi qu’auprès de ses parents, au début de l’année 2019, et de sa sœur.» Cette année-là, elle a identifié l’accusé à la suite du drame de Bulle, notamment grâce à des photos non floutées parues dans la presse brésilienne, et a porté plainte en octobre. XS

Réseaux

Actualités

Médias

Services

La Gruyère

Actualités

Médias

Services

La Gruyère

Le procès du Bullois accusé de féminicide s’ouvre aujourd’hui

Vous voulez en savoir plus ?

Les bonnes raisons de s'abonner

Dans la même rubrique

Dans la même rubrique

Dans la même rubrique

Dans la même rubrique

Dans la même rubrique

Dans la même rubrique

Derniers articles

Derniers articles

Derniers articles

Derniers articles

Derniers articles

Derniers articles