Entre l’alpage du Pralet, sous la Dent-de-Savigny, et sa ferme de la Chenaux, à Charmey, Pascal Tercier est l’un des seuls éleveurs romands de la race hinterwald. Cette petite vache rustique donne une viande goûteuse que l’éleveur bio écoule en vente directe. Rencontre.

CHRISTOPHE DUTOIT

ALPAGE. Samedi matin, une brume d’automne nimbe l’alpage du Pralet, au fond de la vallée du Petit-Mont. Sur le pas de porte du chalet si souvent esquissé par Jacques Cesa, Pascal Tercier nous attend avec un café chaud et noir. «Ce matin, il faisait 7 degrés dans la chambre. Pas grave, j’ai ajouté une couverture.»

Le Charmeysan au sourire jovial passe son 34e été au Pralet. En contrebas du chalet, il pose pour la photo avec Sonia, l’une des huitante vaches hinterwald qui ruminent sous la première éclaircie du jour. «Elles sont courtes sur pattes, trapues, elles pèsent aux alentours de 450 kilos à l’âge adulte», explique l’éleveur de cette race d’origine allemande, un rameau ancestral de la simmental.

Cette race, Pascal Tercier l’a déjà remarquée en 1988, alors qu’il débutait dans le métier. Mais il s’oriente alors vers la sacro-sainte simmental, très répandue en Suisse. Dans un premier temps, il produit d’abord du lait, fabrique quelques meules de gruyère. Mais, sans contingent, l’aventure tourne court.

Dans le même temps, les vaches allaitantes apparaissent dans les paysages, d’abord à l’étranger. «Au début, je trayais mes vaches pour donner le lait aux veaux, raconte-t-il en haussant les épaules. Un jour, un randonneur m’a demandé pourquoi je ne les laissais pas simplement téter aux pis. Ça ne se faisait pas ici. J’ai essayé, d’abord à l’écurie, puis au pré.» Que la nature est bien faite.

Très vite, l’agriculteur de Charmey passe au bio. Il soigne son bétail avec l’homéopathie, apprend le reiki, se découvre des talents de magnétiseur. Il vit une période de vaches grasses. «Mes simmental atteignaient les 1000 kilos.» Des gros gabarits taillés pour le marché industriel, fût-il bio. «Je vendais ma production sous le label Natura beef à la Coop, puis Bœuf bio de pâturage à la Migros.»

Ses vaches mangeaient alors de grandes quantités d’herbages, mais aussi des compléments alimentaires. Comme tout le cheptel suisse. «On aurait dit des éléphants sur l’alpage. Quand il faisait mauvais temps, elles faisaient beaucoup de dégâts.» Comme d’autres, Pascal Tercier s’est senti pris au piège de la grande distribution. «Mais j’avais l’impression d’être un peu le seul à voir arriver la cata.»

Un paysan heureux

Au début des années 2010, Charmey ferme son abattoir et le Parc naturel régional Gruyère Pays-d’Enhaut tente de sauver celui des Moulins, à Châteaud’Œx. «Pour satisfaire au label Parc, l’abattage doit se faire sur le territoire du PNR, note le pilier de l’association. On a fondé une coopérative, qui a connu un démarrage assez bancal. Aujourd’hui, elle emploie ses propres bouchers, pour un équivalent de 2,3 postes.»

Les planètes s’alignent gentiment. En 2017, Pascal Tercier décide de faire table rase. Il vend son troupeau de simmental et achète des hinterwald auprès d’éleveurs suisses alémaniques et allemands. «Cette race n’a jamais été croisée depuis 1870. Grâce à Pro Specie Rara, elle a été réintroduite en Suisse au milieu des années 1980. Malgré la petitesse de la race, le brassage génétique est excellent. Aujourd’hui, une centaine d’éleveurs sont actifs en Suisse allemande, mais je suis l’un des seuls Welches de la famille.» La mentalité de la montagne n’y est sans doute pas étrangère.

Avec ses hinterwald, Pascal Tercier avoue être un paysan heureux. «Certains restaurants comme Les Mossettes à Cerniat ou le Com’Ça à Bulle me prennent des bêtes entières et les valorisent dans leur cuisine.» Une belle satisfaction, à la mesure de la qualité gustative de cette viande, qui mérite d’être mieux connue.

Quatre fois moins d’eau

Cette race présente de nombreuses particularités. A la naissance, les veaux pèsent environ 25 kilos. «Ils sont très vifs, très éveillés. Les vaches sont très maternelles, mais pas trop non plus.»

Aussi appelée vache-cerf en Allemagne, la hinterwald s’adapte très bien aux surfaces forestières. «Elle mange volontiers des feuilles d’épicéas ou de feuillus», note Pascal Tercier. Malgré des rations journalières très frugales, les veaux engraissent d’un kilo par jour et atteignent leur poids adulte à douze mois. «Elles ont encore beaucoup d’un animal sauvage: de petits os et une part de morceaux nobles très élevée, surtout au niveau de l’aloyau.» Par rapport à d’autres races à viande, le rendement est excellent.

D’autant plus que les vaches de Pascal Tercier ne mangent que de l’herbe des alpages. «Et du sel! C’est la seule chose que j’achète. Sinon, elles se nourrissent de foin et de regain en hiver. Mais jamais de céréales, ni de maïs, ni de soja. Rien. Je suis un très mauvais client de la Landi.»

Autre avantage et non des moindres par temps de canicule et de sécheresse prolongée: les hinterwald boivent 20 à 25 litres d’eau par jour. Soit environ quatre fois moins qu’une holstein destinée à la production laitière.

Pascal Tercier tire également parti de la flore riche en minéraux des alpages du Petit-Mont. «Je développe leur système immunitaire grâce à des mélanges de terre d’argile, d’orties séchées, de feuilles de tilleuls, de frênes et d’érables champêtres, que je donne aux veaux en hiver.»

Avec des copeaux

Jamais à court de nouvelles idées, Pascal Tercier vient de troquer la paille de son écurie contre des copeaux de bois. «En général, la paille provient de France et elle est chargée de pesticides. Ces copeaux, ça me plaît, car c’est du 100% local. Dans le Massif central, ils ont adopté ce principe depuis une vingtaine d’années déjà. En Suisse, on est peut-être trois à le pratiquer et c’est vraiment magique.» ■

Des saucisses sans sel nitrité

DEMETER. Paysan bio depuis une trentaine d’années, Pascal Tercier se lance dans le défi de la biodynamie et entame sa reconversion vers le label Demeter à compter du 1er janvier 2023. Depuis l’an dernier, il a commencé à préparer ses propres composts, «un véritable produit miracle», à ses yeux. Surtout, il vient de produire ses premières saucisses sans sel nitrité, banni par le label et de plus en plus contesté. «J’en ai parlé à Nicolas Darnauguilhem, le chef des Mossettes. Il m’a aidé à mettre au point une recette avec du sel de mer. La viande est plus sombre et plus grise, mais le goût est vraiment incroyable.» Disponibles à l’épicerie Epi’Vrac depuis quelques jours, ses nouvelles saucisses font l’unanimité.

«Cette reconversion vers le label Demeter, je la fais pour ne pas avoir peur du futur. Et pour le bien-être du vivant. Je ne me vois pas finir mon métier de paysan autrement. Je ne prévois pas de tout vendre et d’arrêter à 65 ans. Ma fille a envie de continuer.»
La reconversion Demeter passe notamment par des cours d’anthroposophie. «Je n’aurai sans doute pas moins de travail, sourit-il. Je vais devoir épandre mes préparations de bouse de cornes et de valériane.»

«Je sais que je risque de perdre certains clients, mais je vais en gagner d’autres. Et puis, je ne fais pas cela pour l’argent.» D’ailleurs, l’homme planche déjà sur de nouveaux projets. «Ces prochains étés, j’ai bien envie d’élever des cochons en plein air. Cette année, j’ai essayé de planter quelques graines de blé tendre de montagne. Je fais ma propre station expérimentale. Peut-être que ça marchera dans dix ans. Ou que ça ne donnera rien.» CD

Le choix de la vente directe

«J’en avais un peu marre que les gens me demandent dans quelle Migros trouver ma viande.» Depuis quelques années, Pascal Tercier s’est affranchi de la grande distribution et écoule ses produits en vente directe. «Ma clientèle se compose de personnes sensibles à l’environnement et à l’éthique que j’applique sur ma ferme. Ce sont des habitants des villes, mais aussi des familles de la vallée de la Jogne et même des “végétariens” qui achètent un peu de viande, mais de bonne qualité.» Pour satisfaire la demande, l’éleveur de Charmey a revu et corrigé sa manière de découper ses quarts de bœuf. «Je propose des mélanges d’une dizaine de kilos, avec tous les morceaux, y compris du filet. On prépare des paquets congelés de 500 grammes ou de deux tranches.»

Bien que Pascal Tercier tue ses bêtes tout au long de l’année, le délai d’attente peut aller jusqu’à six semaines. «On propose également de la viande au détail et un assortiment de viandes séchées et fumées.» CD

www.ferme-de-la-chenaux.ch

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