La Cellule d’accompagnement des exploitations en difficulté a suivi 35 cas l’an passé.

Son renforcement et la mise en place de mentors et de sentinelles, en 2019, portent leurs fruits.

Le Gruérien Michel Bussard, l’un des cinq mentors engagés pour cet accompagnement, témoigne.

XAVIER SCHALLER

AGRICULTURE. Enseignant à Gruyères, son village de toujours, puis personne-ressource pour les profs en difficulté, Michel Bussard est sorti de sa retraite. Agé de 64 ans, il joue depuis dix-huit mois les prolongations, pour les agricultrices et agriculteurs cette foisci. Il est l’un des cinq mentors engagés à temps partiel par la Cellule d’accompagnement des exploitations en difficulté (AED), à Grangeneuve. Hier, il a témoigné de sa nouvelle activité, lors d’une conférence de presse, organisée par le canton (lire ci-dessous). «En respectant cette confidentialité à laquelle je tiens tellement.»

Ce qu’il a notamment rencontré, ce sont des tensions lors de la transmission d’une exploitation. «C’est un moment charnière, qui crée de la nervosité, pour la génération qui voit gentiment arriver la retraite, comme pour celle qui va prendre le relais. Parfois la communication était déjà assez restreinte. Ce qu’il en reste s’amenuise encore, voire disparaît. Alors que ces personnes vivent bien souvent sous le même toit et se voient tout le temps.»

Cette tension peut mener à des consommations abu-sives. «Je l’ai vécu. Ce n’est pas seulement la personne qui consomme, mais toute la cellule familiale – une, deux, voire trois générations – qui en souffre.» Jusqu’à entrer dans une spirale négative. «Mais dans les situations que j’ai suivies pour le moment, les finances n’étaient pas tellement en cause.»

Violence et idées noires

Durant quinze ans, Michel Bussard a offert un soutien individualisé aux enseignants en difficulté. «Une grande différence, c’est l’isolement que j’ai constaté et qui me préoccupe beaucoup. Un enseignant est avec des collègues, il a un directeur, il y a des parents d’élèves. Dans les exploitations agricoles en difficulté, moins bien ça va, plus on s’isole.»

«Les conséquences de tout cela? De la violence psychologique, physique, verbale. Quelquefois de la maltraitance, clairement.» Le mentor est aussi confronté à une perte de confiance, de l’incompréhension devant les changements, du découragement, des burnout. «Et puis, quand même, des idées noires. C’est une réalité et un sujet délicat, aussi bien dans l’agriculture qu’ailleurs.»

Ecoute et empathie

Comment agir une fois le constat posé? «D’abord et surtout avec de l’écoute et de l’empathie. Je parlais d’isolement. Avec moi, ces gens peuvent vider leur sac, exprimer ce qu’ils ressentent.» Pour créer un climat de confiance, Michel Bussard parle de son activité de garde-génisses l’été ou de ses souches paysannes. «La disponibilité aussi est importante. J’accepte – c’est peut-être faux mais tant pis – qu’ils m’appellent 24 h sur 24. Je le faisais aussi avec les enseignants. Peut-être que c’est le principal outil contre le suicide: avoir quelqu’un à qui parler quand ça va mal.»

Sa formation de médiateur est évidemment un outil. «Je fais plutôt une médiation de type gestion de conflits. Comment voulez-vous qu’un patriarche, qui est large comme ça et qui se fait ébranler dans ses croyances, puisse admettre que son attitude n’est pas convenable? Devant son épouse, son fils ou son père, il ne peut pas. Alors on prépare les séances, on fait des répétitions, avec une partie, avec l’autre, et on essaie d’avancer.»

La médiation ne doit pas forcément aboutir, mais elle constitue un premier pas pour un travail dans la durée, sur des situations très concrètes. «Les repas par exemple: on ne s’entend pas, mais on mange ensemble tout le temps. Estce vraiment idéal? Ou est-ce vraiment judicieux que les trois générations vivent sous le même toit? Bon, alors qui part? C’est délicat, mais c’est concret.»

D’autres intervenants peuvent être sollicités, car les problèmes sont multiples. «Il n’y a pas si longtemps, des experts de Grangeneuve sont venus pour faire une analyse de l’exploitation, alors qu’on m’avait appelé pour un problème social. En travaillant ensemble, main dans la main avec l’AED, on se donne plus de chances.»

Michel Bussard utilise aussi les contacts qu’il a gardés de son job précédent: kinésithérapie, hypnose, psychologie, bilans de compétences, etc. «Certains agriculteurs et agricultrices ont été d’accord d’aller vers ces spécialistes. Avec pas mal de succès je dois dire.» ■

Aides pour trente-cinq exploitations

En 2019, le canton a renforcé son dispositif d’accompagnement des exploitations agricoles en difficulté. La Direction de la santé et des affaires sociales (DSAS) et la Direction des institutions, de l’agriculture et des forêts (DIAF) ont présenté hier les premiers résultats depuis l’instauration des mentors et des sentinelles.

L’an passé, la Cellule d’accompagnement des exploitations agricoles en difficulté (AED), à Grangeneuve, a suivi 35 situations. C’est autant qu’en 2019, mais 18 de plus qu’en 2017. «Difficile de savoir s’il y a davantage de problèmes, ou si c’est le système d’annonces simplifié et le réseau des sentinelles qui permettent de mieux détecter les situations», concède Samuel Joray, responsable de l’AED. Peut-être un peu des deux. Et il n’y a pas, selon lui, de profils ni de situations types. Les soucis vont des finances aux relations personnelles, en passant par les accidents ou l’addiction.

Quelque 64 sentinelles sont formées, 90 le seront prochainement. Ces cours, d’un demi-jour, sont financés par la DSAS et la DIAF. «Ce sont des modules de sensibilisation intitulés Rencontrer une personne suicidaire, explique Anne-Claude Demierre, directrice de la DSAS. Ils ont pour objectif d’oser parler du suicide et de démontrer l’importance de ne pas rester seul lorsqu’on se retrouve face à une personne en crise.» Les sentinelles, en contact régulier avec le monde agricole, ont pour tâche d’informer les gens en difficulté ou d’annoncer leur situation, avec leur accord. Vétérinaire, contrôleur laitier, conseiller agricole, comptable, commercial, inséminateur, toute personne qui est régulièrement en contact avec le monde agricole peut en être.

La plupart des situations sont gérées directement par l’AED. Mais un appel avait aussi été lancé en 2019 pour trouver des mentors, chargés de suivre les situations les plus difficiles. Avec succès. «Cinq mentors, engagés et formés, suivent actuellement huit cas, note Samuel Joray. Et nous avons une liste de 24 personnes, avec des profils très différents, ce qui permet de s’adapter à chaque situation.» Ils offrent écoute, motivation, planification et organisation des tâches, accompagnement technique. «Un suivi aussi personnalisé est, à ma connaissance, unique en Suisse.» XS

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