Après une année d’exploitation, le tea-room Leemann’s Artisan doit fermer ses portes un jour de plus par semaine.

En cause, la hausse annoncée du prix de l’électricité, mais aussi la difficulté à embaucher du personnel qualifié.

Les boulangers-pâtissiers-confiseurs font aussi face à l’augmentation des matières premières et à l’indexation des salaires.

XAVIER SCHALLER

COMMERCE. Depuis le début du mois, Romain Leemann ferme son tea-room bullois deux jours par semaine au lieu d’un. «Ce fut un choix difficile, mais mûrement réfléchi», explique le patron de Leemann’s Artisan. Les deux raisons principales sont les futures hausses d’électricité et le manque de personnel. «Nous avons rencontré notre fiduciaire, nous avons fait nos calculs et cela a semblé être la meilleure option.» Ou la moins mauvaise, c’est selon.

Client de Gruyère Energie SA, il verra sa facture d’électricité augmenter de plus de 40% dès janvier. «Avec un jour de moins, nous économisons sur la consommation du four et aussi un peu sur les appareils de froid, puisqu’on évite les ouvertures-fermetures des portes ce jour-là.» N’étant pas sur le marché libre, il échappe à des hausses potentiellement encore plus importantes.

«Certains boulangers voient leur facture grimper de 300% ou 400%», constate Didier Ecoffey, président de l’Association des artisans boulangers-pâtissiers-confiseurs du canton de Fribourg. Le Romontois prend l’exemple d’un de ses confrères qui allait se retrouver avec une augmentation mensuelle de 10 000 francs. «Pour s’en sortir, il a monté une nouvelle société qui a négocié un contrat avec un autre fournisseur d’électricité. C’est maintenant cette société qui vend l’électricité à sa boulangerie.»

Romain Leemann ne connaît pas de collègues fribourgeois qui ont fait le même choix que lui, mais il a deux exemples vaudois: Le Duo créatif à La Tour-de-Peilz et Ackermann Artisan à Grandson. «Ackermann était ouvert 7 jours sur 7. Maintenant, il ferme le dimanche et le lundi.» Pourquoi a-t-il, lui, choisi le mardi? «Comme nous fermons déjà le lundi, cela permet à nos employés d’avoir deux jours de congé à la suite. Et pour nous, il était exclu de ne pas accueillir les clients du dimanche.»

Les laboratoires qui travaillent avec des fours à gaz ou à mazout ont des soucis différents. Mais d’autres facteurs que l’énergie contribuent à l’augmentation des charges. «Il faut tenir compte des matières premières, des emballages, de la maintenance et, évidemment, des salaires», liste Didier Ecoffey. L’an prochain, il évalue les coûts supplémentaires entre 30 000 et 40 000 francs pour sa boulangerie tea-room.

Trouver des employés

Mais avant d’augmenter ses salariés, il faut les trouver. «Pour le service, ce n’est déjà pas facile, mais pour la production, c’est pire», explique Romain Leemann. Actuellement, son laboratoire tourne avec un employé en arrêt de travail, qu’il n’a pas pu remplacer. «Mais c’est comme ça pour la plupart des artisans.»

Avec un taux de chômage de 1,9% et la cote des 100 000 postes vacants atteinte cette année pour la première fois en Suisse, les salariés tiennent le couteau par le manche. Et recruter pour les boulangeries présente un écueil supplémentaire: les horaires. «Si je passe une annonce pour un pâtissier, j’ai quatre ou cinq réponses. Pour un boulanger qui doit travailler de nuit, aucune», constate Didier Ecoffey.

A Bulle toujours, Philippe Guignard vient de publier une annonce pour l’enseigne Maison Guignard qu’il a ouverte début 2022. Il cherche un boulanger-pâtissier-confiseur, un aide de laboratoire et un aide de cuisine. «J’installe un petit laboratoire à la sortie de Bulle, rue de la Pâla. Actuellement, pour mon tea-room, je fais aussi rentrer des produits d’autres artisans. L’objectif est d’augmenter la part que je produis moi-même.» Ses marchandises garnissent aussi depuis peu les rayons de La Consomm’, partenaire Migros et détaillant de produits locaux dans le Paysd’Enhaut. «A Château-d’Œx pour l’instant, puis ce sera à Rougemont et à Rossinière.»

Son annonce d’emploi n’a pas donné grand-chose pour l’instant et il n’a pas grand espoir. «Des pénuries de personnel formé, il y en a déjà eues. Je me souviens qu’en 1978, Frédy Girardet avait dû fermer à Crissier deux soirs par semaine à cause de ça. Mais à un tel niveau, c’est sans précédent.» Comme tout le monde, il essaie de faire avec les moyens du bord. «Souvent, cela signifie engager des personnes qui n’ont pas la qualification requise et prendre le temps de les former.» Cela permet parfois à Philippe Guignard de faire de la réinsertion professionnelle. «Moi qui ai été gravement malade, c’est quelque chose qui me tient à cœur.»

Répercuter les charges

Dans le contexte actuel, il n’y a pas 36 solutions selon Didier Ecoffey: «C’est fermer, diminuer les charges ou augmenter le prix des marchandises. Chaque boulanger est indépendant et fait ses propres choix, suivant sa situation.»

Les trois artisans ne se font pas d’illusion: ils devront répercuter les charges supplémentaires sur le prix de leurs produits. «Mais pas à 100%, car cela ferait une trop grosse augmentation, souligne Romain Leemann. Pour l’instant, nous avons deux objectifs: ne pas perdre d’argent et assurer la qualité malgré le manque de personnel.» ■

Indexation selon la CCT

La convention collective de travail (CCT) pour la boulangerie-pâtisserieconfiserie artisanale suisse prévoit une indexation des salaires, jusqu’à 4% pour certaines catégories d’employés. «Il ne s’agit pas des salaires effectifs, mais bien des salaires minimaux, précise Didier Ecoffey, président de la faîtière cantonale. Seulement si vous avez un bon employé, qui est déjà au-dessus du salaire minimal, il va difficilement comprendre qu’on ne l’augmente pas un peu aussi.» Et tout le monde est concerné, puisque le Conseil fédéral a déclaré cette CCT de force obligatoire générale. «Cela implique que même si une entreprise n’est pas membre d’une des associations signataires, elle est contrainte d’appliquer ces conditions.» XS

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