Il y a tout juste vingt ans, le Musée gruérien retrouvait 61 daguerréotypes suisses du pionnier de la photographie Girault de Prangey. Au-delà de la redécouverte rocambolesque de ce trésor, l’institution bulloise a désormais acquis une stature sur la carte mondiale de la photographie.

Dans le viseur

Février 2002. Denis Buchs, conservateur du Musée gruérien, reçoit un étrange e-mail de Paris. Un certain Louis Charles de la Taille s’enquiert du sort réservé à un don que son grand-père a fait à l’institution bulloise dans les années 1950: une boîte de daguerréotypes – et non pas des «dagues érotiques», comme l’imaginait un collègue – ce procédé fondateur de la photographie, dévoilé en 1839.

Au terme de plusieurs semaines de recherches, Denis Buchs finit par exhumer une petite boîte en bois, entreposée à la tour de Marsens, dans le Lavaux, siège de la Fondation Naef. Il éclaircit ainsi le mystère d’un demi-siècle de disparition. Dans une lettre datée du 1er juin 1950, le conservateur du Musée Henri Naef remerciait son donateur en ces termes: «Les daguerréotypes sont arrivés à bon port et, pour l’instant, restent en ma possession comme un signe précieux des sentiments dont vous m’avez honoré. Mais, bien entendu, ils prendront place, quand je les aurai identifiés, dans les collections du Musée…»

Dans La Gruyère du 6 juillet 2002, Denis Buchs avance une explication: «Henri Naef habitait au dernier étage du bâtiment du Moderne, à la rue Victor-Tissot. Au-dessus de l’ancien musée. Il a certainement “omis” de rendre les plaques qui auraient dû prendre place dans les collections du musée. A sa mort, en 1967, sa famille a vidé l’appartement et a pris la boîte de daguerréotypes, croyant qu’elle lui appartenait.»

Dans sa contribution à la Rétrospective de LaGruyère, en décembre 2002, le journaliste Eric Bulliard rappelait l’essence de cette redécouverte: «Bien sûr, les journalistes ont parfois tendance à abuser des superlatifs. Mais, cette fois-ci, ce sont les spécialistes consultés qui ont rivalisé d’emphase: cette collection est extraordinaire, inestimable, unique par son ancienneté et le nombre de pièces.»

Et alors?

Avec le soutien de la ville de Bulle, propriétaire de facto de ce fonds, de Memoriav et de l’Office fédéral de la culture, le Musée gruérien met les petits plats dans les grands. Il fait rapidement nettoyer ces plaques photographiques, avant de les sceller dans des boîtages en verre et de les reproduire.

Coup de tonnerre, en mai 2003. Lors d’une vente aux enchères chez Christie’s à Londres, un daguerréotype de Girault de Prangey atteint le prix record de 1,23 million de francs suisses. Du jour au lendemain, le photographe français entre dans la cour des grands et se fait un nom dans le monde de l’histoire de l’art. En marge de cette vente, la Bibliothèque nationale de France préempte 158 daguerréotypes, alors qu’elle aurait pu acquérir l’entier de la collection d’un millier de plaques dans les années 1950. Dommage. Une seconde vente à Londres, puis une troisième à Paris continuent de disperser l’œuvre de Girault de Prangey aux quatre vents.

Pendant ce temps, plusieurs de ses plaques bulloises sont exposées à la Fotostiftung de Winterthour en 2006. Dans la foulée, le Musée gruérien lance un programme d’identification et de recherches qui aboutit à la vaste exposition Miroirs d’argent, en 2008. Pour la première fois au monde, un musée consacre un catalogue monographique à Girault de Prangey. Et c’est à Bulle.

Grâce aux compétences acquises durant cette période, le Musée gruérien devient un point de référence sur la carte mondiale de la photographie patrimoniale. En 2011, il est invité à prendre la parole au Collège de France lors d’un Congrès international sur l’art turc. Trois ans plus tard, il présente Girault de Prangey au château de Fontainebleau. Puis dans l’antre de Daguerre, au Musée de Bry-sur-Marne, en banlieue parisienne.

Depuis une dizaine d’années, les daguerréotypes du Musée gruérien circulent en Suisse et en Europe, avec un point d’orgue l’été dernier lors de la grande rétrospective Girault de Prangey au Musée d’Orsay. Une mise en valeur parisienne qui a fait suite à une impressionnante exposition consacrée par le Metropolitan Museum de New York. Une consécration mondiale, à quelques salles du fameux temple de Dendour, que le photographe aurait pu visiter lors de son périple en Egypte, en 1943 (lire en page 3).

En quelques années – et c’est d’autant plus rare pour une institution communale – le Musée gruérien est surtout devenu un pôle de compétences reconnu en Suisse. Sous la houlette de Christophe Mauron, son conservateur, il a monté des expositions sur la pratique de l’autochrome en Suisse (Fou de couleurs, en 2014) ou sur des photographes fribourgeois qui ont parcouru le monde, à l’image de Louis de Boccard (Conquistador, avec Nicolas Savary, en 2019 au Musée gruérien, puis au Musée de l'Elysée).

Comme le disait La Gruyère il y a vingt ans: «Aucun doute, l’année 2002 restera pour le Musée gruérien celle de la découverte d’un trésor.» Un trésor que l’institution a su faire fructifier.

CHRISTOPHE DUTOIT

Réseaux

Actualités

Médias

Services

La Gruyère

Actualités

Médias

Services

La Gruyère

Tout ce que le Musée gruérien a hérité de Girault de Prangey

Vous voulez en savoir plus ?

Les bonnes raisons de s'abonner

Dans la même rubrique

Dans la même rubrique

Dans la même rubrique

Dans la même rubrique

Dans la même rubrique

Dans la même rubrique

Derniers articles

Derniers articles

Derniers articles

Derniers articles

Derniers articles

Derniers articles