Avec Naviguer la vie, le rappeur gruérien Vincent Roggo sort un nouvel album singulier: à la suite d’un appel lancé en France, il a reçu 400 productions et en a sélectionné 11. Rencontre.

ÉRIC BULLIARD

MUSIQUE. Il a installé son studio dans un sous-sol, à côté d’un parking souterrain de Fribourg. Comme une tanière, ou un cocon, mais pas coupé du monde: Vincent Roggo a enregistré ici son nouvel album, Naviguer la vie. Un disque pas comme les autres, pour VR GoldenMusic (son nom d’artiste), puisqu’il est issu d’une collaboration internationale.

Dans le hip-hop régional, Vincent Roggo – qui a grandi au Pâquier et vit aujourd’hui à Remaufens – est du genre hyperactif: l’année dernière, il a sorti trois albums. Et cela dure depuis des années: en 2013, La Gruyère avait consacré un article à VR qui, à 19 ans, faisait le buzz grâce à une chanson et un clip intitulés Fat Boys, écrits avec D!MVA. «A l’époque, j’étais obèse et l’idée, c’était de dire: “On est gros et on assume”. Nous avions eu 10 000 vues sur Youtube en une semaine!»

Au-delà du souvenir sympathique, l’anecdote est révélatrice de sa méthode de travail: «Le rap était une échappatoire après une enfance qui ne s’est pas super bien passée. Je mettais des mots sur ce que je ressentais.» Ce procédé n’a pas changé: «Je ne suis pas un rappeur qui s’invente une vie. J’écris beaucoup de choses personnelles, sur ce que je vois, ce que je ressens. Ce sont des photos de mon parcours.»

400 en deux semaines

Alors qu’il avait l’habitude de faire ses albums tout seul, VR s’est contenté des textes pour Naviguer la vie. Cette création singulière est née de ses contacts avec le Français Norma Prods, lui-même musicien et beatmaker, rencontré (virtuellement) via Instagram. «Nous avons la même idée de la musique», raconte Vincent Roggo.

Un temps, ils imaginent un album commun. Puis Norma lance un appel à sa communauté, sur sa chaîne Youtube. Il invitait chaque beatmaker (débutant ou confirmé) à proposer une production sur laquelle VR poserait ses mots.

«Nous avons reçu 400 instrumentales en deux semaines, souligne Vincent Roggo. Et j’ai vraiment tout écouté!» Avec Norma, ils se mettent d’accord sur 11 titres. «Le CD physique contient un track bonus que j’ai fait moi-même.» Au final, un beatmaker sélectionné est suisse, tous les autres viennent de France. Deux femmes ont été retenues.

Changement de style

Une seule proposition par personne était admise. Toutes ont été écoutées de manière anonyme. «Environ 30% ne me correspondaient pas du tout. Il fallait que ça me parle pour écrire les textes.» VR ne s’est pas pour autant contenté de rester dans son style, qu’il qualifie de «trap mélodieuse»: «J’ai été amené là où je ne serais pas allé. Mensonge, par exemple, sonne un peu club, ce qui n’est pas mon registre de base.» Les morceaux ont ensuite été enregistrés et mixés dans son studio.

Incontournables de la musique d’aujourd’hui, des clips accompagnent le disque: le premier (On vous aidera) est paru en amont de l’album, le deuxième (Old city) a suivi samedi, jour de sortie. Un troisième est envisagé, qui inclurait toute la communauté. Là encore, Vincent Roggo reste tel qu’en lui-même: «J’essaie toujours de mettre en avant ma région ou ma ville dans les clips.» Et de citer l’exemple de Vital, tourné au lac de la Gruyère, à une époque de basses eaux.

Question de crédibilité

Parler de hip-hop avec Vincent Roggo, c’est ainsi s’éloigner de pas mal d’idées reçues. «Souvent, des artistes d’ici essaient de faire comme les Français, avec tous les clichés du rap. Moi, j’aurais zéro crédibilité dans le registre street!»

Son parcours aussi reste loin des images toutes faites. Musicalement, d’abord, puisqu’il compte derrière lui plus de dix ans de piano classique. Professionnellement, ensuite: après avoir enseigné à l’école d’ingénieur, Vincent Roggo termine en ce moment son master en électronique et système embarqué.

N’empêche que le rap conserve une place essentielle dans sa vie. Et que, à l’heure où sort Naviguer la vie, il se dit «surexcité: techniquement, je pense que c’est au point. Après… est-ce que ça plaira?» En tout cas, VR GoldenMusic a pris goût à ce type de travail d’équipe. «J’ai envie de renouveler cette expérience, avec Norma ou avec d’autres. C’est agréable de mettre en avant le travail de personnes qui aiment ce qu’elles font.» ■

VR GoldenMusic, Naviguer la vie. Disponible sur les plate-formes habituelles

Fribourg a du talent

A 28 ans, Vincent Roggo compte quinze ans de rap derrière lui. «Depuis que j’ai commencé, je dois avoir écrit environ 1000 morceaux. A certaines périodes, j’en faisais tous les jours.» Cette musique, il l’a découverte notamment à travers un de ses plus célèbres représentants en Suisse: «J’étais méga fan de Stress!» Suivent des rencontres essentielles, dans la région: «A Bulle, Blake, de la Old’Team m’a beaucoup aidé et beaucoup appris.» VR fait aussi partie de ces jeunes Bullois passés par le Centranim: «J’ai suivi des cours et j’ai forgé mes premières armes là-bas!»

Baignant dans ce milieu de longue date, il porte un regard acéré sur le hip-hop d’ici. «J’ai envie de produire du monde, y compris dans ce studio. La scène rap fribourgeoise est émergente, il y a plein de gens intéressants: Lorage, Pablo Rime, Delstone, par exemple, sont super bons!» Et VR d’avouer un rêve: «Ce serait bien qu’il y ait une fois un gros festival rap avec tous ces talents locaux!» EB

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Un album né de collaborations, loin des clichés du rap

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