La commune a dévoilé et commenté hier l’avis de droit portant sur la rémunération du mandat de son secrétaire général pour GESA.

Elle admet un «manque de rigueur dans la gestion du dossier», mais assure «qu’aucun argent public n’a été soustrait». Selon elle, le secrétaire général n’a pas à rembourser les sommes perçues.

Eric Gobet n’est pas de cet avis. Il regrette que la commune «ne tienne pas compte de l’avis de droit» et «continue comme si de rien n’était».

FRANÇOIS PHARISA

BULLE. Cette prise de parole était attendue. Hier, le Conseil communal de Bulle in corpore – trois conseillers manquaient à l’appel, mais pour des raisons privées ou professionnelles – a convié les médias afin de «livrer sa position» sur ce que l’on peut qualifier d’affaire Gobet-Girard. Cela après avoir transmis à la presse et aux conseillers généraux deux documents: le rapport Zufferey, portant sur la rémunération du secrétaire général pour son mandat auprès de GESA, et le rapport Dafflon, consacré aux processus de décision au sein du Conseil et de la ville. Second rapport sur lequel la commune ne s’est pas attardée hier.

Le rapport Zufferey conclut donc que la rémunération que perçoit le secrétaire général, Raoul Girard, pour son mandat de président du conseil d’administration de GESA, fait partie intégrante de son cahier des charges de secrétaire général. Dès lors, cette rémunération – 25 000 fr. par année, soit 100 000 fr. pour la période allant de l’été 2019, date de son entrée en fonction en tant que secrétaire général, et l’été 2023, date de la fin de son mandat pour GESA – «devait entièrement revenir à la commune» et donc «être remboursée» (lire encadré).

Mais ce n’est pas l’avis de la commune: elle ne demandera dès lors aucun remboursement à son secrétaire et ne changera pas de pratique d’ici à la fin de son mandat.

Brève chronologie

Avant de relayer les justifications du Conseil communal, un bref rappel chronologique s’impose. Le 1er août 2019, Raoul Girard, ex-conseiller communal, devient secrétaire général. Il poursuit son mandat pour GESA, «sur décision du Conseil communal».

Le 15 octobre 2019, l’Exécutif décide que le secrétaire général percevra, en lieu et place des jetons de présence que touchent et rendent les élus politiques, 9000 fr. par année à titre de prime de risque. Toutefois, «le Conseil communal n’a alors pas précisé à M. Girard ce qu’il adviendrait de ses heures supplémentaires» pour ce mandat, précise la commune.

Or, le 6 novembre 2019, GESA informe la ville «qu’elle ne peut pas verser les jetons de présence à la commune, car M. Girard agit comme les autres administrateurs non élus politiques». Ces jetons lui sont donc versés. Puis la pandémie survient et le sujet passe au second plan.

En mai 2022 enfin, l’affaire revient sur le tapis. Eric Gobet «porte des accusations graves contre le secrétaire général et un membre du Conseil communal», selon l’Exécutif. Ce dernier commandite alors un avis de droit et demande à Raoul Girard de poursuivre son mandat à la présidence de GESA jusqu’à juin 2023, le temps de lui trouver un successeur.

Décision «pragmatique»

Ainsi, le Conseil communal – a-t-il reconnu hier par la voix de son syndic Jacques Morand – «a peut-être manqué de rigueur dans la gestion de ce dossier». Mais, insiste-t-il, «aucun argent public n’a été volé ni détourné ni soustrait». Et de souligner: «D’une manière ou d’une autre, les montants perçus par M. Girard lui étaient dûs.»

Le Conseil communal revient donc sur sa décision du 15 octobre 2019 et s’écarte des conclusions juridiques du rapport Zufferey. Cela «par pragmatisme», explique-t-il. En effet, si une demande de restitution était exigée, «il faudrait d’une part effectuer des corrections rétroactives nécessitant énormément de travail pour rectifier les décomptes de salaires» notamment.

Et, d’autre part, la ville serait perdante financièrement si elle rémunérait les heures effectuées par son secrétaire général pour GESA. Elle les évalue à «185 heures par année», représentant «un montant annuel de 23 400 fr.» «Ceci en plus de la prime annuelle de 9000 fr.» Sans compter que la commune devrait encore «prendre à sa charge la part employeur des charges sociales». Bref, la pratique actuelle vaudrait mieux. Précisons ici que, selon sa grille salariale, la ville attribue un salaire de plus de 200 000 francs annuels à son secrétaire général.

Le Conseil communal fera toutefois siennes plusieurs recommandations du rapport Zufferey pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise à l’avenir. «Nous adapterons notamment notre règlement du personnel communal et établiront une base légale pour des indemnités et prestations légales», explique Jacques Morand.

Pour qui la commune «a pris les décisions en adéquation avec la situation». Et le syndic de regretter «qu’une affaire interne, sans réel enjeu majeur, ait été montée en épingle et ait porté le discrédit sur l’ensemble du Conseil et une partie de l’administration». Affaire, selon lui, «aux origines essentiellement d’ordre politique».

Notons encore que le Conseil communal a rencontré hier en fin de journée les membres du bureau du Conseil général, ainsi que les chefs de groupes politiques. Cela «afin que le bureau prenne une décision en toute connaissance de cause», précise Jacques Morand.

Le bureau devra en effet se prononcer sur la pertinence d’organiser une séance de Législatif extraordinaire pour traiter de cette affaire Gobet-Girard.

Réaction du PS

Dans un communiqué diffusé hier, la section bulloise du PS «constate que la situation, bien qu’elle ne soit pas parfaite, est loin d’être illégale ou catastrophique». Elle dénonce une «récupération politique» et «questionne sérieusement l’indépendance du préfet de la Gruyère», dans le cadre d’une éventuelle enquête administrative. ■

Ce que dit l’avis de droit du professeur Zufferey

La commune de Bulle a confié le mandat à Jean-Baptiste Zufferey, professeur de droit à l’Université de Fribourg, de produire, le 30 mai dernier, un avis de droit sur «la rémunération de Raoul Girard pour l’exercice de sa fonction de président du conseil d’administration de GESA». Ce rapport de 26 pages, transmis hier à la presse et aux conseillers généraux, est parvenu au Conseil communal le 23 août. Quelles en sont les principales conclusions?

Après avoir pris soin de relever que cette expertise «n’est pas une enquête administrative sur la régularité du comportement de M. Girard et des autres acteurs concernés», le professeur Zufferey conclut que «le dossier présente suffisamment d’éléments pour qualifier la fonction de M. Girard au sein de GESA comme un élément constitutif implicite de sa fonction de secrétaire général de la commune». Par conséquent, «sa rémunération pour cette fonction devait revenir entièrement à la commune dès le second semestre 2019, en 2020 et en 2021». Le secrétaire «doit restituer à la commune la part de son salaire qu’il a reçue indûment, à concurrence des rémunérations versées par GESA en 2019, 2020 et
2021». Cela avec «un intérêt moratoire de 5%».

Toutefois, le professeur Zufferey souligne aussi que cette restitution devrait «faire l’objet d’une décision communale». Et celle-ci devrait «respecter le principe de proportionnalité». Cela signifie concrètement que cette décision devrait «tenir compte de l’indemnité de salaire accordée» le 15 octobre 2019 à M. Girard pour son activité au sein de GESA, à savoir 9000 fr. Elle devrait aussi «tenir compte des heures supplémentaires que M. Girard a dû accomplir» dans l’exercice de son mandat. Enfin, elle devrait «tenir compte de l’éventualité qu’une restitution mette M. Girard dans une situation difficile alors qu’il aura agi de bonne foi».

L’avis de droit précise encore que les montants afférents à 2019 et 2020 sont atteints de prescription. FP

«Ces sommes devraient être remboursées»

A POSITION D’ÉRIC GOBET. Le 2 septembre, Eric Gobet démissionnait avec effet immédiat de l’Exécutif bullois. En cause, la prise de position du Conseil communal, lors de sa séance du 30 août, quant à la suite à donner à l’avis de droit du professeur Zufferey. Depuis, il n’en démord pas.

Lundi dernier, il s’est attaché les services d’un avocat et a demandé au préfet l’ouverture d’une enquête administrative. Pour rappel, celui-ci a lancé, lundi dernier également, une instruction préliminaire, visant à démontrer s’il y a lieu ou non d’ouvrir une enquête administrative.

Eric Gobet reproche à la commune de fermer les yeux sur les conclusions de ce rapport. «Pourtant, elles sont claires. Le secrétaire général représente la commune au conseil d’administration de GESA. La rémunération qu’il en retire est donc acquise à la commune. C’est d’ailleurs ce que le Conseil communal avait décidé le 15 octobre 2019, en lui attribuant pour ce mandat une “prime-risque” de 9000 fr. Le secrétaire général était au fait de cette décision, le rapport le reconnaît. Il savait qu’il ne pouvait pas toucher cet argent.»

«Un devoir d’exemplarité»

L’élu démissionnaire PLR se défend de mener un combat politique ou de régler des comptes personnels. «Pour analyser la situation avec du recul, telle qu’elle est, nous devons faire fi des querelles de partis et des éventuelles relations conflictuelles entre personnes. Je n’ai rien personnellement contre le secrétaire général ou contre l’un des membres du Conseil. Mais, en politique, on se met au service de la collectivité et on a un devoir d’exemplarité. Certes, on ne fait pas tout juste, moi le premier. Mais quand on commet une erreur, on la corrige, on ne peut pas s’enfoncer la tête dans le sable et faire comme si de rien n’était! Cet avis de droit démontre que des sommes ont été perçues à tort et qu’elles échappent aux contribuables bullois. Dès lors, elles devraient être remboursées.» FP

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Un «manque de rigueur», mais «pas d’argent public détourné»

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