Le ruisseau Prâ Melé, au Pâquier, a subi une pollution qui a tué des centaines d’écrevisses.

Une catastrophe pour cette espèce fortement menacée, d’autant qu’il n’y a plus que trois cours d’eau gruériens qui en abritent une forte densité.

La pollution provient probablement d’un déversement de produit dans une grille d’évacuation au village.

XAVIER SCHALLER

LE PÂQUIER. Triste découverte mardi, dans le ruisseau du Prâ Melé, en dessous du Pâquier. Un particulier y a remarqué de très nombreuses écrevisses à pattes blanches mortes. Il a alors alerté La Gruyère et le Service de la faune et de la nature, qui est intervenu.

«Avec quatre gardes-faune, nous avons ratissé le cours d’eau durant l’après-midi, précise Sébastien Lauper, spécialiste du suivi des espèces, des pollutions et des revitalisations. Nous avons repêché environ 300 cadavres.» Il estime que les pertes totales pourraient avoisiner les 2000. Alors qu’en 2018, lors d’une évaluation des densités dans tout le canton, la population du Prâ Melé avait été évaluée à 5000 individus, avec la densité la plus forte du canton.

Une catastrophe pour ce crustacé (Austropotamobius pallipes) qui est classé, en Suisse, parmi les espèces fortement menacées. A cause de la dégradation de la qualité des eaux, à laquelle il est très sensible, et de la disparition des milieux humides. «En Gruyère, seuls trois cours d’eau, dont le Prâ Melé, comptent encore de bonnes populations d’écrevisses à pattes blanches. Deux autres en abritent aussi, mais avec des populations extrêmement faibles.»

Produit déversé

Il sera difficile de déterminer la cause exacte de cette hécatombe. «Mais nous sommes presque sûrs de l’origine de la pollution: elle viendrait du village. Quelqu’un a dû verser une substance extrêmement nocive pour cette espèce dans une grille d’égout, sans savoir que cela va directement dans les eaux claires (lire encadré). Chlore, eau de Javel ou insecticide, un seul bidon peut tuer toute une population.»

Un prélèvement d’eau a été envoyé mardi au laboratoire cantonal, mais Sébastien Lauper ne se fait guère d’illusion: «La pollution date de lundi au plus tard, car certains spécimens étaient déjà en décomposition ou piquées par les oiseaux. La vague de pollution passe et les organismes meurent après.»

Aucun poisson n’a été retrouvé mort et une soixantaine d’écrevisses ont aussi été repêchées vivantes. «Nous les avons placées dans un bac oxygéné. Avec de l’eau propre venant d’une rivière où vit aussi cette espèce», explique Sébastien Lauper. Après quelques heures, trente avaient résisté. Le lendemain, elle ont été remises à l’eau en amont de la pollution.

Des écrevisses mortes ont été envoyées au Tierspital à Berne pour être analysées. «Pour une étude sur la dynamique entre écrevisses à pattes blanches et écrevisses américaines, notamment concernant la peste des écrevisses.»

L’écrevisse américaine est une espèce invasive, introduite volontairement par des particuliers, à des fins gastronomiques. Non seulement elle a amené avec elle la peste – aphanomycose de son vrai nom – mais en plus elle soumet les écrevisses indigènes, moins agressives, à une rude concurrence. «Mais au Pâquier, la peste n’est probablement pas en cause», précise Sébastien Lauper.

Stratégie à définir

Pour le Prâ Melé, une stratégie va être définie cet été, après connaissance de l’état de la population survivante, notamment pour voir si une réintroduction est possible et pertinente. «Il faut aussi être sûr que la nourriture est toujours là.» Nocturnes, les écrevisses se nourrissent de ce qui dérive à leur portée: particules végé- tales, insectes, restes d’animaux.

Une réintroduction coûtera cher, entre 10 000 francs et 20 000 francs. «Si le pollueur est découvert, ce sera à lui de payer. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il est plus facile de détruire que de recréer une population.» ■

Ne rien jeter dans les caniveaux

Le message est simple, il est martelé depuis des années et pourtant tout le monde ne l’a pas encore compris: «Il ne faut jamais rien jeter dans les caniveaux!» En 2011, l’Association suisse des gardespêches avait lancé une campagne avec le slogan: «Sous chaque grille se cache une rivière». Deux ans plus tard, elle a relancé la machine en installant des grilles d’évacuation symbolisant un cours d’eau.

En 2017, le Service de l’environnement (SEn) revenait à la charge, avec la campagne «Ne polluez pas nos eaux». Des plaquettes informatives ont alors été installées lors des réfections des routes cantonales. Quelque 35 communes ont aussi participé à l’action, en plaçant des plaques sur leurs routes ou leurs places.

Car les bouches d’égout portent très mal leur nom: plus des trois quarts de ce qu’on y jette ne passent jamais dans les stations d’épuration. Une proportion qui va en augmentant, avec la mise en place de systèmes séparatifs. Et si la plupart des pollutions passent inaperçues, elles n’en font pas moins des dégâts, à plus ou moins long terme. Que ce soit des produits phytosanitaires, du lisier, des peintures, du ciment ou même des mégots. Sachant qu’un mégot par litre d’eau tue la moitié des petits poissons en six heures. XS

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