La série d’hiver de LaGruyère décrypte le rôle et l’importance de la vision dans le sport.

Dernier épisode avec le tireur d’Auboranges Steve Demierre.

Œil, jambes, cerveau et bras: tout est lié pour atteindre la cible.

VALENTIN THIÉRY

TIR. Steve Demierre est une référence suisse dans le domaine du tir. Il a remporté plus de 25 sacres nationaux individuels et par équipes. Ce weekend, le citoyen d’Auboranges dispute la phase finale du championnat d’Allemagne de pistolet à air comprimé à 10 m. «Les meilleurs Européens seront là et l’atmosphère sera particulière avec le bruit des spectateurs», décrit Steve Demierre.

Se mesurer au gratin, idéal pour celui qui veut retrouver le standing acquis avant sa blessure en mai dernier, le privant de jeux Olympiques. Le tout dans une chaude ambiance, parfait pour tester son aptitude à faire le vide. «Entre deux coups, j’évite de me retourner pour regarder le public. Ça ouvre trop mon champ de vision. Je sortirais alors de ma bulle, explique l’athlète de 46 ans. Je fixe plutôt le tableau des scores ou le fond, derrière les cibles. Pour me relâcher entre deux rencontres, je vais chercher des paysages ou des couleurs qui me plaisent.»

Au service de la vue

Steve Demierre insiste. Se caler sur une mire pendant environ septante-cinq minutes de match est exigeant et éreintant. Sa concentration comme ses yeux, il les façonne au quotidien, avec des exercices simples de trois minutes. Dans son cas, l’efficacité de son viseur dépend principalement d’un facteur. «Ma méthode pour me concentrer dans ma vision est liée à ma condition physique. Je roule beaucoup à vélo pour préparer mes jambes et mon cœur, commente ce papa de deux enfants. Si mes jambes ne sont pas prêtes pour une compétition, elles vont trembler. Mon cerveau va donc être attiré par un élément perturbateur et sera moins au service de ma vue.»

Pour soigner la relation entre méninges et œil, le Vaudois d’origine stoppe aussi les sucres rapides une semaine avant chaque échéance. «Ma tête est libre et plus légère.» Chez la plupart des tireurs, le paramètre physique est associé au haut du corps, surtout les bras. Steve Demierre l’appelle la tenue. Pour lui, une troisième composante est plus importante que la vision: «La manière d’appuyer sur la détente, primordiale.»

Dans son métier de policier, Steve Demierre est amené à manipuler une arme. Il précise toutefois que les entraînements dans sa profession lui apportent peu au niveau de la vision. Pour l’optimiser, le Glânois compte plutôt sur le matériel. «Si je ferme un œil, je ressens de la tension dans mon visage. Et sans lunette adaptée à mon œil directeur, je ne tiendrais pas un match à cause de la fatigue, analyse le droitier. Voilà pourquoi je dispose d’un cache à gauche et d’un verre spécial à droite.»

Des filtres différents sont également utilisés en fonction de la lumière. Certains tireurs n’emploient pas de lunettes, d’autres s’exécutent les yeux ouverts. Et comme Steve Demierre quand il s’est blessé au bras droit, des athlètes saisissent leur pistolet de la main gauche et guignent avec l’œil droit. «J’avais un niveau intéressant. Mais à l’échelle mondiale, c’est impossible d’être à la hauteur. Je ne connais personne qui a les mêmes capacités de chaque côté.»

Tenir à sa prunelle

Paris 2024 est son prochain gros objectif. D’ici là, Steve Demierre aura sans doute recouvré ses compétences, notamment en participant à plusieurs manches de Coupe du monde. Il continuera également de prendre soin de ses mirettes avant un tournoi. «Je me garde d’aller au soleil deux heures avant mon effort.» Et dans la vie de tous les jours. «Je n’en fais pas une obsession. Mais je protège bien mon œil directeur. Quand je suis à vélo, je mets tout le temps des lunettes. Si quelque chose le heurte, j’arrête le tir.» ■

Du tac au tac

Un adversaire que vous tenez toujours à l’œil?

Le Serbe Damir Mikec. Il ne gagne pas tout le temps, mais il est souvent bien placé dans les grands rendez-vous. Il est très régulier.

La dernière fois que vous avez eu la larme à l’œil?

Le 8 janvier, après la victoire du skieur Marco Odermatt devant son public au slalom géant d’Adelboden. Ça m’a vraiment touché.

La dernière chose obtenue à l’œil?

Mon nouveau pistolet.

La dernière fois que vos yeux sont sortis de votre tête?

Au travail (n.d.l.r.: il est policier). Je déteste les injustices.

La fois où vous avez eu les yeux plus gros que le ventre?

La période qui a suivi mon retour à la compétition en décembre. Mes attentes étaient trop élevées par rapport à ce que mon bras était capable de produire après sa blessure. VT

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