La légende du tennis Roger Federer a annoncé sa retraite jeudi, à 41 ans.

Le Bâlois aura gagné 103 titres, dont 20 en tournoi du Grand Chelem.

Des observateurs régionaux évoquent le «Maître».

VALENTIN THIÉRY

TENNIS. Roger Federer prendra sa retraite après la Laver Cup à Londres, le 25 septembre prochain. Depuis jeudi et l’annonce du «Maître» de 41 ans, les hommages pleuvent, les vidéos souvenirs inondent les réseaux sociaux et des larmes coulent. Durant son parcours jalonné de 1251 victoires et 103 titres, le plus grand tennisman de tous les temps a également croisé et marqué plusieurs régionaux.

● Pierre-Alain Morard, 56 ans, ancien directeur technique adjoint à Swiss Tennis, Bulle

«J’avais découvert Roger quand j’étais responsable des juniors en Suisse romande, lors d’un rassemblement des meilleurs jeunes du pays. Il avait 12 ans. Il se signalait par sa légèreté et son aisance sur le terrain. Il s’illustrait grâce à son sens du jeu et de l’anticipation qu’il a développé durant toute sa carrière. Il avait également cette capacité d’analyse. Même pendant un match, il savait rapidement ce qu’il fallait corriger dans son tennis.

»Ce que je retiendrai de lui? Sa longévité, son parcours sans faute et le triomphe en Coupe Davis à Lille contre la France, en 2014.»

● Olivier Grandjean, 46 ans, ancien adversaire, Bulle

«J’ai affronté deux fois Roger Federer au milieu des années 90, à Lausanne et à Bâle. Je me suis incliné sur un même score, 6-4 7-5. Lors de notre second duel, je menais 4-0 dans le deuxième set. Il était nerveux et avait fracassé sa raquette. Ça l’avait réveillé et il m’avait ensuite fessé. Son revers à une main faisait déjà fureur. En 1998, je l’ai revu à Toulouse, où il a remporté sa première rencontre sur le circuit principal. Je suis allé vers lui en tapant sur son épaule. Il se souvenait de moi et nous avons discuté durant vingt minutes. Un très bon joueur qui se rappelle tous ses matches.

● Bastien Kolly, 24 ans, capitaine du TC Bulle

«J’ai le sentiment d’être né avec Federer dans la tête. Il a été mon premier modèle dans le tennis. Pour moi, il n’est toutefois pas le meilleur de tous les temps. Djokovic et Nadal ont été tout aussi impressionnants. Mais Roger s’est démarqué dans un registre précis. Il fut le premier à marcher sur tout le monde. Il avait un niveau indécent, il n’avait aucune concurrence. Il aura toujours une place particulière dans ce débat grâce au fait qu’il a dépassé les attentes et les limites. Enfin, Roger, c’était l’élégance sur et en dehors des courts.»

● Pierre Mamassis, 77 ans, propriétaire du TC Bossonnens

«Je suis vraiment ému. Je pensais qu’il arrêterait après le tournoi de Bâle, fin octobre, chez lui. Je me rappelle sa venue à Bossonnens comme si c’était hier. C’était en septembre 1997. Il participait à un tournoi qu’on organisait avec Swiss Tennis. C’est chez nous qu’il avait gagné ses premiers points ATP grâce à un succès face à l’Argentin Jorquera. Il avait ensuite perdu au deuxième tour contre Yves Allegro, sa seule défaite face au Valaisan.

»Roger Federer était un bon junior parmi les autres, mais on disait tout de même de lui qu’il irait loin. Il avait des facilités et anticipait très bien. Au niveau de son comportement, il pouvait être parfois excité. Croyez-moi, chaque joueur sait où il a pris ses premiers points ATP. Roger Federer s’en souvient plus que moi.» ■

Du tac au tac

Avec Maxime Pichonnaz, 23 ans, joueur au TC Bulle

Le jour où vous êtes devenu fan...

Après sa fessée contre Rafael Nadal en finale à Roland-Garros 2008. Il est parvenu à faire rire le public lors de son discours. C’est aussi la personne et sa manière d’être que j’aimais.

Son plus beau point?

Demi-finale de l’US Open 2009 contre Novak Djokovic. Un tweener exceptionnel pour avoir trois balles de match.

Le match que vous n’oublierez jamais?

Son succès à l’Open d’Australie 2017 contre Nadal, après six mois d’absence. Un niveau de jeu venu d’une autre planète.

Sa plus belle défaite?

Finale de Wimbledon 2008. Un des plus beaux matches que j’aie vus. Federer était invaincu sur gazon depuis 2002. Mené 2 sets à 0, il était revenu à 2-2. Mais c’est Nadal qui s’était imposé. Je retiens la manière avec laquelle il s’était battu.

Le jour où vous avez pleuré...

Lors de son vingtième et dernier Grand Chelem, à l’Open d’Australie, 2018. C’était comme s’il avait gagné son premier titre. La passion qui émanait de lui était fantastique. Sur son visage, j’ai vu plus d’amour du jeu que chez tous les autres.

Roger Federer en un mot?

Authentique. VT

De mauvaise foi
PAR MICHAËL PERRUCHOUD
Ecrivain et éditeur - www.cousumouche.ch

Roger sur un fil

POINT FINAL. Rien n’aura été banal, sinon son déclin. Ce bête genou et ce temps qui s’obstine à passer ont fini par le coller à cette terre sur laquelle il avait semblé danser, presque voler. C’est d’ailleurs ce qui rend incrédule à l’annonce du départ de Roger Federer jeudi. Sa manière de se tenir au-dessus des débats, tout de légèreté dans un monde de sueur, nous faisait penser qu’il pouvait revenir encore et encore, inlassable phénix, ajouter une nouvelle partition à son récital.

Récital qu’il jouait en soliste… accompagné. Car si Federer sembla au début du millénaire, disons entre 2003 et 2006, évoluer seul sur sa planète, il fut rejoint par deux camarades auxquels on ne peut que l’associer. Roger Federer, Rafael Nadal, Novak Djokovic: trois champions incomparables, qui jouèrent ensemble, mais pas la même mélodie.

Federer, c’était de la musique classique. Des notes claires et des contrepoints. Nadal, c’est le gros rock, la guitare électrique qui crie et la batterie qui accélère, qui étouffe l’adversaire sur un tempo infernal. Djokovic, c’est un techno beat lancinant qui ne vous lâche pas jusqu’au bout de la nuit. Funambule, Federer allait plus haut que les autres, mais il prenait le risque de tomber. La moindre hésitation lui était fatale. Sa quête de perfection sous-entendait une vraie fragilité. Nadal, plus animal, tout de testostérone, use de son poids, campé sur ses muscles. Rien ne peut le déstabiliser, le détourner de sa quête de victoires. Son mental a quelque chose de surhumain. Djokovic, c’est le champion 2.0. Avec lui, on quitte le domaine du possible pour entrer dans une logique de jeux vidéo. Lui n’est plus tout à fait surhumain, presque inhumain.

C’est dire que Federer n’est pas un monstre. Non, les monstres ce sont ses deux adversaires, ces rivaux avec lesquels il a confisqué un sport pendant près de deux décennies. Federer n’est pas non plus un roi. Il n’a pas ce goût du pouvoir, ce besoin d’écraser l’adversaire. Il allait si loin dans la pureté du jeu qu’il n’avait pas la possibilité de se dépasser. Ou si peu. Les despotes, ce sont encore les deux autres.

«Federer est le plus grand joueur du monde, mais Nadal est le meilleur des deux», disait Martina Navratilova. Oui, Federer était un joueur, là où Nadal et Djokovic sont des combattants. Et c’est pourquoi les plus grands matches de Federer, ceux qui ont marqué l’histoire du tennis, se sont souvent soldés par des défaites. Parce que son jeu était si précis, si esthétique, si chorégraphié, qu’il ne pouvait forcer sa nature. Cette hargne, cette rage absente, ce sont les deux balles de match manquées à Wimbledon 2019. Ce 21e titre du Grand Chelem qu’il n’obtiendra jamais. Parce qu’on ne peut pas toujours rester sur un fil.

Nadal et Djokovic vont aussi, bientôt, baisser la garde sous le poids des ans. Pour l’heure, ils continuent le combat. Mais lorsqu’on les reverra sur le court, il ne sera pas interdit de lever les yeux avec nostalgie, de chercher, là, vers le haut, la grâce d’un inimitable funambule. ■

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